Dans la nuit du 31 octobre au 1° novembre 1954,
entre 23 h 45 et 3 heures du matin, l’Algérie est secouée par une vague
d’attentats. Le premier touche une caserne située entre Boufarik et
Blida ; il s’agit pour des rebelles sous les ordres de Amar Ouamrane un
Kabyle qui deviendra plus tard responsable de la wilâya 4 et ministre du
G.P.R.A. de se saisir du stock d’armes ; l’opération est un échec car le
commando rafle 4 mitraillettes et 6 fusils. A quelques kilomètres de là un
scénario identique s’est reproduit à la différence que le commando a laissé
trois morts et des blessés et n’a pu prendre des armes. Au même moment, la
coopérativede Boufarik brûle.
A 0h15, le préfet d’Oran reçoit un coup de téléphone
l’informant que la gendarmerie de Cassaigne vient d’essuyer des rafales de
mitraillette et qu’un Européen a été tué ; d’autre part à quelques
centaines de mètres de là un gardien a été assommé et son fusil lui a été volé.
Le préfet est persuadé qu’une série d’événements aussi graves dans une région
habituellement calme n’est pas le fruit du hasard. Il ne sait pas encore, il
l’apprendra plus tard, que deux fermes ont été mitraillées et que le
transformateur du centre d’Ouillis a été attaqué ; le garde ayant été
blessé. D’autre part de nombreux poteaux télégraphiques ont été sciés et des
fils téléphoniques sectionnés.
A Alger à 0h45, une explosion
retentit à l’usine à gaz .A la même heure, deux bombes sont placées à
Radio Alger, rue Hoche, ainsi qu’aux pétroles Mory rue de Digne sur les quais
du port. Une autre vise le central téléphonique du Champ de Manœuvre. Nulle
part les dégâts ne seront importants ; le projet d’embraser Alger est un
échec.
Constantinois : 2 heures. Sur la
route de Philippeville, la gendarmerie de Condé-Smendou a été attaquée. A dix
kilomètres de Constantine, au Kroub c’est la caserne qui a essuyé des coups de
feu, dans les deux cas rien de grave n’est à signaler.
2h30 :
Biskra .Simultanément, le commissariat et la centrale électrique ont été
attaqués. On dénombre quatre Européens blessés dont deux policiers. Alerté par
téléphone, le sous-préfet, en résidence à Batna déclenche l’alerte générale. Au
même instant, des coups de feu retentissent à la caserne, deux militaires
français sont mortellement touchés. Le sous-préfet ne sait pas que Hadj Lakhdar
Abidi -futur responsable de la wilâya 1- qui a dirigé l’attaque l’a eu dans sa
ligne de mire deux heures auparavant et qu’il n’a pas tiré car il était trop tôt !
3
heures : Kenchela, dans les Aurès. Trois rebelles ont pénétré dans le
commissariat et sous la menace de leurs armes se font remettre les revolvers
des gardiens de la paix. Le transformateur électrique a sauté ;
l’explosion a réveillé en sursaut le lieutenant Darnault qui s’habille à la
hâte et sort sur le pas de la porte de la caserne. Cinq coups de fusil sont
tirés : le lieutenant et une sentinelle s’écroulent, morts. Les spahis de
la caserne ripostent, deux rebelles sont blessés.
Toujours
dans les Aurès, à T’Kout, à l’entrée des gorges de Tighanimine, la gendarmerie
avec ses dix gendarmes, quatre épouses et cinq enfants est assiégée. Dans cette
région aussi, les liaisons téléphoniques et télégraphiques ont été coupées et
la localité d’Arris est complètement isolée. Au petit matin, le car
Biskra-Arris et ses passagers est stoppé par des inconnus dans un virage ;
ils en font descendre un jeune couple d’instituteurs récemment arrivés de
Métropole et un caïd ; une rafale claque, le caïd s’effondre, les deux
instituteurs également, le jeune homme décèdera quelques heures plus tard, la
jeune femme survivra.
Dès 3h30 à Oran, à 4 heures à Alger
et à Constantine, des cellules de crise sont réunies.
A
Oran, le préfet Lambert est persuadé qu’il s’agit du début d’une
insurrection ; le général Wiedespach-Thor, commandant la place d’Oran et
le commissaire central sont sceptiques. Mais les ordres du préfet sont
formels : appliquer les mesures de l’état de siège, procéder à des
arrestations chez les nationalistes fichés par les R.G., multiplier les
contrôles d’identité. A l’aube 8 musulmans ont été tués ; sur six d’entre
eux on a trouvé des armes ; l’un des deux non armés, s’appelle Ramdane Ben
Abdelmalek ; il a assisté à la réunion des 22,- dont nous parlerons
ultérieurement- c’est un adjoint de Ben M’Hidi. Il est le premier chef de la
rebellion à tomber, mais le policier qui enregistre son nom ne le sait pas
encore.
Si
à Constantine, le général Spillmann commandant la garnison semble surpris, le
préfet Dupuch l’est beaucoup moins, lui qui, quelques heures plus tôt avait
étudié avec son ami Jean Deleplanque sous-préfet de Batna le problème de la
perméabilité de la frontière tunisienne. D’ailleurs à Batna, le sous-préfet a
réagi à la manière de Lambert à Oran, avec une priorité, joindre la localité
d’Arris.
A
Alger, le Gouverneur Général Léonard a convoqué le directeur de la Sureté Jean
Vaujour et le commandant en chef Paul
Cherrière ; la situation est jugée seulement préoccupante, sauf peut-être
par Vaujour ; toutefois le risque d’un embrasement des Aurès est évoqué,
et il faut se résoudre à prévenir Paris, c'est-à-dire Pierre Mendès-France le
président du Conseil et François Mitterrand le ministre de l’Intérieur, et à
demander des renforts.
La radio annonça les attentats dans
le courant de la matinée, mais en ce jour férié peu de gens l’écoutaient. A 17
heures parut le journal T.A.M. Dernières Nouvelles dont la
diffusion n’était pas très forte. Ce ne fut donc que le 2 novembre que tous les
quotidiens titrèrent sur les événements de la veille.
Peut-on parler de surprise ?
Pour répondre à cette question, il
est nécessaire de remonter quelques années en arrière dans l’histoire du
nationalisme algérien.
Les
premières revendications à caractère nationaliste virent le jour dans les
années 1920. On peut affirmer que le lendemain de la première guerre mondiale
fut un rendez-vous manqué entre musulmans désireux de s’intégrer à la nation
française et les gouvernants français qu’ils fussent à Paris ou à Alger. En
effet fort de leur engagement aux côtés des soldats français dans la lutte
contre l’Allemagne, les Musulmans assimilationnistes espéraient dans le
meilleur des cas un accès à la citoyenneté sans perdre leur statut personnel.
D’autre part, nombreux étaient ceux qui réclamaient la création d’un corps
électoral indigène avec une représentation au Parlement. Toutefois, des
réformes jugées insuffisantes par les Musulmans permirent l’accroissement du
nombre d’électeurs chargés d’élire les délégués financiers, les conseillers généraux
et municipaux.
L’une des figures les plus revendicatives de cet
immédiat après-guerre fut indéniablement l’Emir Khâled, petit-fils d’Abd el
Kader, capitaine de l’armée française, trois citations, deux ans au front à la
tête de goumiers qu’il galvanisait. Attaqué par l’Action française,
également par l’influent député de Constantine Morinaud, Khâled se retira en
Syrie en 1923. Après la victoire du Cartel des Gauches en 1924 il tenta de
revenir sur la scène politique, mais ce fut un échec et Khâled mourut à Damas
en 1936. Le « khâlédisme » avait marqué les esprits et lorsqu’en 1926
fut créée l’Etoile nord-africaine, elle se donna pour président
d’honneur, l’Emir Khâled. L’Etoile est fondée par Hadj Ali Abd el Kader,
membre du P.C.F. et par Hassan Issad, membre de la C.G.T.U. Elle apparaît donc
comme une filiale du parti communiste. Très vite Hadj Ali laisse la place à
Messali Hadj qui devient le chef de l’Etoile nord-africaine le 20 juin
1926. Né à Tlemcen en 1898, Messali est un Kouloughli et issu de la confrérie
des Darqawa ; sergent de l’armée française jusqu’en 1921, il est déjà
fiché par les R.G. ; en 1925 il est affilié au parti communiste. En 1927
il élabore un programme révolutionnaire qu’il expose à Bruxelles lors du
Congrès de la Ligue contre l’Impérialisme. Dans ce programme, il
demande « l’indépendance de l’Algérie, le retrait des troupes
françaises, l’élection d’un Parlement algérien au suffrage universel ». En
1928, l’Etoile compte 4 000 adhérents ; en novembre 1929, l’Etoile
est dissoute par les autorités françaises, ce qui n’empêche pas Messali
d’envoyer en 1930 un mémorandum à la S.D.N. dans lequel il dénonce «
le mythe de la mission civilisatrice de la France en Algérie ». En 1933,
il reconstitue, avec l’aide de deux compagnons, Imache et Radjef, le parti sous
le nom de Glorieuse Etoile nord-africaine et se rapproche du Destour
tunisien et des Jeunes Marocains. Dans ses discours, Messali parle déjà de
la nécessité « d’une insurrection armée pour jeter les Français à la
mer… du drapeau vert du Prophète qui remplacera un jour le drapeau
tricolore ». Il célèbre également « la glorieuse histoire de
l’Algérie… la noblesse de son peuple issu d’une noble race ». Ses textes
offrent des relents de xénophobie et d’antisémitisme ; le journal l’Humanité
s’en inquiète ; Messali interdit à ses militants d’appartenir aussi au
parti communiste. En 1935, Messali, Imache et Radjef sont respectivement
condamnés à 1 an, 8 mois et 6 mois de prison ; mais Messali s’enfuit à
Genève chez Chakîb Arslân idéologue des Oulémas Réformistes autre mouvement
contestataire qui, lui, affirme que l’Islam est l’élément fondamental de la
vitalité du peuple algérien lequel doit se fondre dans une nation arabe. En
1937, le Gouverneur Général LeBeau demande et obtient avec le soutien des
socialistes et des communistes la dissolution de la Glorieuse Etoile. Le
11 mars 1937, Messali, qui entre temps a été amnistié, crée le Parti
Populaire Algérien. Le 14 juillet de la même année, plusieurs centaines de
militants du P.P.A. défilent dans Alger, en brandissant des drapeaux verts et
en criant des slogans tels que « Parlement algérien… Terre aux fellahs…
Respect de l’Islam… Des écoles arabes… » La presse communiste
dénonce « les nationalistes messalistes (comme étant) des agents de
Mussolini ». Auparavant, pour contrer le mouvement messaliste qui
échappait à son contrôle, le P.C.F. avait créé le Parti Communiste Algérien. En
août 1937, Messali est arrêté. En octobre 1937, aux élections cantonales
d’Alger, le P.P.A. présente Messali, bien que ce dernier soit inéligible ;
il obtient au premier tour un tiers des suffrages et au second tour la moitié.
En totalisant les voix obtenues par une autre candidature à Alger, le P.P.A.
obtenait 5 377 suffrages sur 25 000 votants. En septembre 1939, le
P.C.A. et le P.P.A. sont dissous.
A la même époque d’autres mouvements
affirmaient des revendications nationalistes, mais pour certains le religieux
était le fondement du politique. Ainsi le Mouvement des Oulémas réformistes
dont il a déjà été question développe très tôt, dès le début des années vingt,
la notion de nationalité algérienne à travers un de ses penseurs, le cheikh Ben
Bâdis ; sa pensée sera relayée de façon plus radicale vers l’islamisme par
Chakîb Arslân déjà cité, et par Tawfiq el Madani, tunisien, un des fondateurs
du parti destourien, expulsé de Tunisie par les Français lequel rédigea en 1932
Le Livre de l’Algérie qui devint l’encyclopédie du nationalisme
algérien. Ben Bâdis entretient des contacts avec les Arabes de Syrie et de
Palestine, mais aussi avec les Tunisiens, et en mai 1937, il met en garde le
gouvernement français contre le risque d’une révolte du Maghreb tout entier.
L’autre figure qui émerge également
dans les années trente est celle de Ferhat Abbas qui tout d’abord présida
l’amicale des Etudiants ; il aspirait alors à une Algérie égalitaire et
rêvait de la « formation par la culture franco-musulmane d’une France
orientale en Algérie ». Conseiller municipal de Sétif, puis conseiller
général, il tenta de créer un parti politique musulman puis en 1938, de créer
l’Union Populaire Algérienne ; ce fut un échec. En opposition à Ben
Bâdis et à Messali il se rendit célèbre en 1936 par un discours récupéré plus
tard par des politiques et des intellectuels français, discours dans lequel il
affirmait « cette patrie (la nation algérienne) n’existe pas, je ne
l’ai jamais découverte ».Sa position évoluera considérablement.
Ce rappel semblera un peu long, il
était toutefois nécessaire pour affirmer qu’à la veille de la seconde guerre
mondiale tous les éléments du puzzle nécessaire à la naissance d’un mouvement
insurrectionnel sont rassemblés : des partis structurés (deux), des
figures écoutées et pourchassées par le pouvoir en place, des penseurs et bien
sûr des idéologies qui si parfois se révèlent en concurrence, rallient bon
nombre de Musulmans au concept de nation algérienne.
La
guerre viendra interrompre cette dynamique. Pourquoi ?
Les
Algériens se trouvèrent divisées quant à l’attitude à adopter face au conflit
franco-allemand ; parmi leurs élites, une minorité dont Chakîb Arslân
était séduit par l’idéologie nazie et écoutait Radio Bari qui émettait en
arabe ; les Italiens finançaient le comité d’action révolutionnaire
nord-africain (C.A.R.N.A.) né au sein du P.P.A. Messali s’était prononcé pour l’insoumission et le refus de porter les
armes. Par contre , le docteur Bendjelloul conseiller général de Constantine,
Ferhat Abbas ou encore le cheikh Ibrâhimi vice président des Oulémas
réformistes se prononcèrent pour le soutien à la France. Qu’en fut-il des
obscurs militants ? Certains se firent gloire plus tard de leur
insoumission et y acquirent quelque célébrité comme Lamine Debaghine qui prit
la direction du P.P.A. clandestin en 1942 et jouera un rôle important au F.L.N.
dès le début de l’insurrection. Mais il semble bien que la grande masse de la
population masculine musulmane répondit
présent à la mobilisation « dans un ordre et une discipline
admirable » si l’on croit le gouverneur général Le Beau. La défaite
française surprit les Musulmans d’Algérie, mais au début du moins, le régime de
Vichy fut bien accueilli tant était grand le prestige du maréchal Pétain ;
l’abrogation du décret Crémieux fut reçu avec une certaine satisfaction.
Toutefois, Pétain annonça des réformes
qui ne vinrent jamais et, au contraire, se lança dans une politique répressive.
Ferhat Abbas adressa alors au maréchal en avril 1941 un mémoire intitulé l’Algérie
de demain qui proposait un plan de réformes inspirée de la révolution
d’Ataturk en Turquie. Il reçut une fin de non recevoir. Quelques jours
auparavant Messali avait été jugé pour atteinte à la sûreté de l’état et
condamné à seize ans de travaux forcés et nombre de ses amis s’étaient vu
infliger des peines comprises entre dix et quinze ans de prison. Le cheikh
Ibrâhimi avait été également emprisonné ainsi que quelques militants membre des
Oulémas. Parallèlement la situation économique de l’Algérie se détériorait,
hiver 1940-41 rigoureux, pénurie de céréales et de matières premières, hausse
des prix des denrées alimentaires. Le général Weygand, devenu gouverneur
général de l’Algérie le 17 juin 1941 avisait Vichy du changement de la
population : « les Musulmans se montrent indisciplinés, impolis
parfois insolents ». Le 27 août 1941 le docteur Bendjelloul prévenait
Vichy « du fossé creusé entre Français algériens et
Musulmans …La situation est très grave » ajoutait-il. C’est dans ces
conditions dramatiques que survint le débarquement allié de novembre 1942. Le
général Giraud, nouveau proconsul en Algérie se révéla plus soucieux de lever
une armée en mesure d’aider les anglo-américains, que d’appliquer un minimum de
réformes indispensables à l’amélioration de la qualité de vie tant des Français
que des Musulmans d’Algérie. En décembre 1942, douze personnalités algériennes
envoyèrent aux nouvelles autorités responsables un « message
subordonnant la participation des Musulmans à l’effort de guerre, à l’élaboration
d’un nouveau statut politique et économique basé sur la justice sociale et
assurant leur affranchissement politique ». Cette fois encore, ils
reçurent une fin de non recevoir. A un deuxième message, les autorités
répondirent qu’elles réuniraient une commission chargée d’étudier les
problèmes. Comme les autorités tardaient à réunir la commission, Ferhat Abbas
et ses amis décidèrent d’adresser un Manifeste aux nations alliées. Le Manifeste
du peuple algérien contre signé par trente personnalités algériennes, conseillers
municipaux, généraux, délégués financiers,
fut remis officiellement le 31 mars 1943 au gouverneur général
Peyrouton, et le lendemain aux représentants des forces alliées. Le texte
contenait entre autres les revendications suivantes : condamnation et
abolition de la colonisation, reconnaissance de la nationalité et de la
citoyenneté algériennes, droit du peuple algérien à disposer de soi, et surtout
l’Algérie demandait à être dotée d’une constitution propre, «
républicaine et sociale ». Le gouverneur général accepta le texte comme
base de réformes à venir et demanda aux signataires de définir un programme
moins ambitieux et donc plus facilement applicable. Le nouveau document connu
sous le nom d’Additif au Manifeste fut remis au général de Gaulle le 10
juin 1943. Si certaines revendications avaient disparu pour ne par heurter
certains lobbies, entre autre le colonat, le fond n’avait pas changé puisqu’il
réclamait « à la fin des hostilités, la création d’un état algérien
doté d’une constitution propre qui serait élaborée une assemblée algérienne
constituante élue au suffrage universel par tous les habitants de
l’Algérie ». Avec toutefois une concession importante, « un
droit de regard de la France et une assistance militaire des Alliés en cas de
conflit ». Mais Peyrouton avait été remplacé le 1°juin par le général
Catroux, et ni lui, ni de Gaulle n’étaient en mesure d’accepter les principes
du Manifeste. De Gaulle, par contre proposa dans un discours prononcé à
Constantine le 12 décembre 1943 un certain nombre de réformes que le cheikh
Ibrahîmi et Messali mais aussi Ferhat Abbas accueillirent avec dépit, car très
en deçà de ce qu’ils espéraient. Finalement, une ordonnance du 7 mai 1944
octroyait à certaines catégories la citoyenneté française, ce qui concernait
65 000 nouveaux électeurs musulmans votant au Collège Unique avec les
Européens. En réaction, le 14 mars 1944, fut créé le mouvement des Amis du
Manifeste Algérien, qui devint Les
Amis du Manifeste et de la Liberté (A. M. L.) ce qui équivalait à la
création d’un parti nationaliste algérien « bourgeois » dont les
revendications rejoignaient celles des « prolétaires » du P.P.A.
Abbas avait d’ailleurs quelques temps auparavant rencontré Messali qui avait
été libéré et assigné à résidence, pour tenter de mettre au point une
plate-forme commune, Messali ayant cédé momentanément sur l’idée d’une
République algérienne associée à la France. Le P.P.A. avait quant à lui, lancé
dès décembre 1943 une campagne de refus de la mobilisation ; parmi des militants
arrêtés pour avoir mené cette action se trouvait Ben Khedda, futur président du
G.P.R.A .L’année 1944 vit l’étalage au grand jour de revendications
nationalistes provenant d’obédiences aussi différentes que des jeunes issus des
scouts musulmans, de militants du P.P.A. toujours clandestin, ou des Oulémas
dont certains avait fait le voyage au Caire pour animer un comité de défense de
l’Algérie. Parallèlement le mouvement des A.M.L. d’Abbas voyait son nombre
d’adhérents augmenter. Mais la police constatait que nombre de nouveaux
militants des A.M.L. étaient également des militants du P.P.A. La Conférence
centrale des A.M.L. qui se tint du 2 au 4 mars 1945 en l’absence d’Abbas malade
vit triompher les thèses radicales du P.P.A. à savoir l’indépendance immédiate de
l’Algérie ; l’idée de fédération avec la France étant rejetée, par contre
était adoptée l’idée d’une Algérie libre et fédérée dans une ligue des nations
arabes. Abbas et ses amis eurent bien conscience qu’ils étaient débordés, mais
c’était trop tard ; le 2 avril 1945 ils lançaient un appel au calme.
Auparavant, le préfet de Constantine notait dans un rapport au
gouverneur, « toutes les circonstances favorables à l’éclosion
d’événements graves sont réunies ». Le 31 mars 1945, ce même préfet
lançait un appel à la prudence : « il convient de veiller à ce
qu’aucun événement sanglant ne sépare définitivement Français et
Musulmans ». Le 19 avril, Messali était arrêté. Le 1° mai des manifestants
réclamaient la libération de Messali ; à Alger, des heurts violents
opposèrent nationalistes et forces de l’ordre et firent 3 morts et 13 blessés
chez les manifestants ; la police procéda entre le 2 et le 6 mai à une
trentaine d’arrestations préventives ; les services de renseignement
étaient convaincus qu’une insurrection générale devait être déclenchée le jour
de l’armistice, ce que démentirent plus tard les dirigeants du P.P.A.
Toutefois, ils conviennent qu’il y avait bien idée d’insurrection, mais à une
date non précisée, et que Messali avait donné son accord pour la proclamation
d’un gouvernement algérien près de Sétif, à la ferme des Maïza. Quoiqu’il en
soit, le 8 mai, éclatèrent les tragiques événements de Sétif et du
Constantinois dont le bilan très lourd, tant du côté européen que musulman,
demeure toujours controversé. Encore aujourd’hui, l’Algérie veut honorer les
45 000 victimes de la répression, chiffre hautement fantaisiste. Mais il
est assuré que face à l’ampleur de la répression, la direction politique du
P.P.A. décida de reporter sine die toute idée d’insurrection générale ;
Messali aurait même à compter de ce jour, considéré l’insurrection comme une
utopie. Aussi, après son amnistie et son retour en Algérie, il décida de se
lancer dans des actions de type légaliste et créa un nouveau parti, le Mouvement
pour le triomphe des libertés démocratiques (M.T.L.D.) qu’il présenta aux
élections de novembre 1946. Cette option mécontenta une partie des militants
qui voulaient continuer la lutte clandestine armée, dont le docteur Debaghine,
déjà cité. Les partisans de la lutte armée obtinrent le 12 février 1947 la
création d’un P.P.A. clandestin doté d’une branche militaire secrète, l’Organisation
Spéciale, l’O.S. L’O.S. se lança dès 1948 dans le terrorisme, puisque au
cours de cette année, 20 Musulmans pro-français furent assassinés et 8
grièvement blessés. Des groupes de l’O.S. furent arrêtés en 1949 dans la région
de Jemmapes alors qu’ils effectuaient des manœuvres militaires. C’est un
commando de l’O.S. composé de Ben Bella et de Aït Ahmed qui organisa le hold-up
de la grande poste d’Oran en avril 1949. Les renseignements généraux estimaient
début 1950 que l’O.S. comptait 1 800 hommes. Parmi les dirigeants de
l’O.S. on note des noms qui deviendront des célébrités du F.L.N. tels que
Mohamed Khider, Ahmed Ben Bella, Mohammed Boudiaf ou encore Hocine Aït Ahmed.
Au printemps 1950, la police française procéda au démantèlement de
l’O.S. ; 363 membres furent arrêtés, dont 252 furent maintenus en
détention parmi lesquels Ben Bella et Khider. Messali tenta alors de renforcer
son pouvoir au sein du M.T.L.D. ; mais le culte de la personnalité dont il
usait et abusait était de plus en plus dénoncé par de nombreux militants. En
mai 1952, Messali était expulsé d’Algérie. La tenue d’un congrès en avril 1953
révéla les divisions entre messalistes et anti messalistes ; une troisième
force désireuse d’offrir une médiation,
échoua. En août 1954, l’implosion du parti était consommée. D’anciens membres
de l’O.S. décidèrent de recréer une organisation de combat ; vingt-deux
militants se donnèrent une direction collective : Ben Boulaïd, Ben M’hidi,
Bitat, Boudiaf et Didouche. Khider, Aït Ahmed et Ben Bella membres de la
délégation M.T.L.D. au Caire donnèrent leur aval. S’y ajoutèrent les Kabyles
Belqacem Krîm et Ouamrane. De ces trois groupes devait naître le Front de
Libération Nationale le 10 octobre 1954. Il prônait l’insurrection générale
qui devait aboutir à « la restauration d’un état algérien
démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». L’action
armée devait être lancée dans la nuit du 31 octobre au 1°novembre.
Simultanément, un texte émanant de la direction du F.L.N. annonçait les
objectifs intérieurs et extérieurs de la lutte parmi lesquels on relèvera la
volonté d’internationaliser le problème algérien ; dans ce même texte il
était proclamé qu’au jour de l’indépendance « les intérêts français
…seraient respectés ainsi que les personnes et les familles ».
Tous les noms des vingt- deux
militants de l’été 1954 qui devaient constituer l’ossature du F.L.N. étaient connus de la police ;
tous étaient fichés ; presque tous avaient été interpellés ou arrêtés au
moins une fois dans leur vie. Les renseignements généraux ne connaissaient pas
l’existence du F.L.N. mais savaient que s’était constitué « un groupe
autonome d’action directe » visant
à commettre des actes terroristes sur tout le territoire algérien et qui avait
pris le nom de C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action).
Mais le C.R.U.A. était divisé entre partisans d’un soulèvement général à court
terme et attentistes. Lors de la tenue d’un congrès en juillet 1954, les
attentistes furent désavoués et le C.R.U.A. se saborda. C’est donc quelques
semaines plus tard que naquit le F.L.N. La police savait également qu’il
existait de graves tensions au sein du P.P.A. entre extrémistes et modérés-
Boudiaf ayant été victime d’un attentat
perpétré dans la Kasbah par les messalistes ; il riposta avec ses
partisans par une expédition punitive au siège du parti place de Chartres-. En
fait, les responsables de la sécurité en Algérie étaient obnubilés par les
rivalités entre les nationalistes, espérant peut-être qu’ils se
neutraliseraient, ce qui occulta vraisemblablement la naissance du F.L.N. Mais
la menace d’événements graves planait.
C’est
pourquoi le 23 octobre, le gouverneur général Léonard réunissait dans son
bureau Jean Vaujour le directeur de la sûreté et M. Trémeaud le préfet d’Alger
pour les informer des derniers rapports des R.G. et leur annoncer sa décision
d’envoyer un courrier au ministre de l’Intérieur François Mitterrand le
prévenant de la gravité de la situation en Algérie, situation qui était selon
lui, sur le point de se détériorer. Plus, Vaujour et Léonard savent par un
rapport du commissaire Carsenac que Ben Bella et Aït Ahmed sont au Caire, que
Didouche- que la police n’a pu intercepter -fait le lien avec eux en passant
par la Suisse et que les Kabyles Krim et Ouamrane ont rallié la
rébellion ; ils ont localisé Ben M’hidi à Biskra sans savoir que c’est lui
car il circule sous un pseudonyme. Il semblerait que le rapport adressé au
ministre de l’Intérieur ne soit jamais arrivé sur son bureau (1) ; une
thèse d’un universitaire parisien affirme que ce fameux rapport était vide (2).
La polémique a été relancée récemment
par les révélations faites par Jean Vaujour au Journal du dimanche (3) ; celui-ci affirme que dès mai 1954, il avait
prévenu Pierre Mendès-France que des nationalistes algériens s’exerçaient au
combat en Tunisie et en Egypte. Face au peu d’échos que suscitent ses
révélations il aurait alors adressé un courrier, le 25 septembre à Henri
Queuille, président du Conseil en 1950 et 1951 dans lequel il lui demandait
d’alerter Mendès-France de l’imminence d’une insurrection.
Parallèlement, le nouveau commandant en chef
des forces armées en Algérie, le général Cherrière s’apprête lui aussi à
adresser ministre de l’Intérieur une note de synthèse sur la situation en
Algérie. Par contre, son subordonné, le colonel Blanche en poste à Batna venait
de lui adresser un rapport tout à fait satisfaisant sur la situation dans le
Constantinois ; aussi la note de Cherrière à Mitterrand se voulait-elle
rassurante avec toutefois un bémol, « en cas de coup dur, il
disposait de moyens insuffisants manque d’hommes, absence d’unités légères
capables d’intervenir rapidement et de poursuivre des bandes armées ayant une
bonne connaissance du terrain, et surtout absence cruelle de moyens concernant le
renseignement ». En présence de ces informations, Jacques Chevallier maire
d’Alger et secrétaire d’état à la Guerre contacta son ministère pour obtenir un
prélèvement des forces d’occupation en Allemagne et reçut l’assurance que la
25°D.I.A.P. serait prête à gagner l’Algérie le 31 octobre sur simple
alerte ; d’autre part, Jacques Chevallier avait été prévenu que la situation
était en passe de s’aggraver par son ami Si Achmi Ben Chenouf député-maire de
Kenchela.
On peut donc être étonné du rapport rassurant
du colonel Blanche, car non seulement il n’a pas de moyens de renseignement
comme l’a souligné Cherrière, mais en outre les relations entre les autorités
civiles et militaires sont mauvaises ; Jean Deleplanque sous-préfet de
Batna est la bête noire du colonel Blanche. Or, Deleplanque et son ami Pierre
Dupuch, préfet de Constantine sont inquiets ; les incidents à la frontière
algéro-tunisienne se sont multipliés ces derniers temps. D’autre part le chef
des R.G. de Constantine avait signalé qu’il venait de localiser une très
importante bande d’une soixantaine de fellaghas dans les Aurès ; cette
bande était fractionnée en trois groupes, mais les difficultés
de « pénétration » interdisaient d’aller voir sur place et donc
d’en savoir plus. En outre, les R.G. détestent l’armée qu’ils accusent de leur
casser le travail ; passant outre ces rivalités, le directeur de la sûreté
d’Alger décide de convoquer à Constantine une super conférence réunissant les
sous-préfets, le préfet, les administrateurs, le colonel Blanche et le général
Spilmann commandant le Constantinois afin de les mettre au courant de la
gravité de la situation. Il ne suscite que l’incrédulité des militaires et le
scepticisme des administrateurs. Nous sommes le 29 octobre ; seuls Dupuch,
Deleplanque et Georges Hirtz l’administrateur de Biskra sont convaincus qu’il
faut agir vite. Les groupes de fellaghas signalés par chef des R.G. existaient
bien ; il s’agissait des hommes de Ben Boulaïd. Mais ni les R.G. ni la
police ne connaissaient le sigle F.L.N : la clandestinité avait été bien
préservée, la structure du F.L.N. s’inspirait de celle des réseaux de la
résistance française.
On
est quand même en droit de s’étonner de la naïveté des militaires, car depuis
dix ans, l’Aurès échappait totalement à l’autorité française. Les
« bandits » de la tribu des Beni Bou Slimane et des Touaba tenaient
le pays : attaque de forestiers, meurtres, règlements de compte
constituaient le lot quotidien de la vie dans ces montagnes inhospitalières.
Pourtant, Spillmann avait, une quinzaine de jours auparavant, signalé que deux
gardes champêtres avaient été roués de coups par des hommes se réclamant d’une
énigmatique Armée de Libération Nationale ; mais Spillmann ne croit pas à
l’éventualité d’une guerre de subversion et demeure obnubilé par la présence de
fellaghas tunisiens qui franchiraient impunément la frontière. Enfin, il
convient de rappeler que Krim Belkacem avait pris le maquis en 1947, après une
affaire d’assassinat dans laquelle il était impliqué et n’avait pu être arrêté
depuis, bénéficiant de multiples réseaux d’assistance.
Comme
on le voit la situation est loin d’être sereine en Algérie à la veille de la
Toussaint 1954.
Le
ministre de l’intérieur, qui est rentré de son voyage en Algérie le 23 octobre
le sait, puisqu’il répond à Pierre Mendès France qui
l’interrogeait : « la situation en Algérie est malsaine…
j’espère des renseignements concrets dans un proche avenir ». Des
renseignements concrets, il en a déjà puisqu’il a eu connaissance d’un rapport
du directeur de la sûreté d’Alger, l’informant de la découverte de la
fabrication de bombes artisanales dans la Casbah ! Jean Vaujour en
manipulait une dans son bureau, le 22 octobre, bombe que lui avait fournie un
informateur ; intrigué et soucieux il avait décidé de rédiger un rapport
prévenant de la gravité de la situation. Mieux, Vaujour en aurait directement
parlé à Mitterrand lors du voyage de ce dernier à Alger. Enfin, Vaujour qui
avait infiltré certaines cellules terroristes de la Casbah, aurait fourni des
explosifs peu puissants à base de chlorate de potasse.
Alors ! Peut-on parler de surprise,
à la lecture de la presse en ce 2 novembre 1954 ?
Non
car au niveau des responsables politiques, militaires, policiers et des
renseignements généraux tout le monde savait qu’il était sur le point de se
passer quelque chose de très grave en Algérie ; certes la date et l’heure
n’étaient pas connues car le secret avait été bien gardé, mais l’état d’urgence
aurait dû être appliqué. Le manque de communications entre les différents
services, voire la rivalité, les antagonismes, ont contribué à la réussite des
actes terroristes du 1° novembre. Une des preuves que la Toussaint rouge aurait
pu être évitée fut la rapidité de réaction de la police et des R.G. qui en une
dizaine de jours démantela l’organisation du F.L.N. à Alger et à Oran. Certes à
Alger, Rabah Bitat avait pu échapper à la police, mais il se retrouvait seul
dans la montagne. A Batna, un responsable local du F.L.N. traqué par les hommes
du commissaire Courrieu donna tous les noms de l’encadrement de Ben Boulaïd,
seul ce dernier passa à travers les mailles du filet. Trois membres du comité
des 22 furent très vite arrêtés (4). Un quatrième, Ramdane Benabdelmalek, est
abattu le 1° novembre à Sidi Ali à l’est de Mostaganem. Dans l’Aurès, le
commandement militaire qui a reçu le soutien d’unités de parachutistes plus
mobiles et familiarisées au combat dans le djebel accroche durement des troupes
de fellaghas ; une figure légendaire, « bandit d’honneur »
jusque là insaisissable et qui courait la montagne depuis sept ans est tué
début novembre 1954 ; il s’agit de Belkacem Grine non impliqué dans la
rébellion, mais dont l’image mythique de défi aux forces de l’ordre était
largement utilisée. Simultanément la police arrête à Ighil Imoula, au cœur de
la Grande Kabylie, Ali Zamoun chez qui le communiqué du F.L.N. du 1°novembre
avait été tiré. Condamné à mort, puis gracié, il passera toute la guerre en
prison et deviendra préfet de Tizi Ouzou après l’indépendance.
Bien
sûr l’arrestation d’un grand nombre de militants, pour la plupart qui n’étaient
pas de hauts responsables, quand bien même auraient-ils été appréhendés avant
le 1°novembre n’aurait peut-être pas changé pas le cours de l’histoire. Le mal
était plus profond. Il a été développé ici les racines anciennes du
nationalisme, le désir de réformes qui animait de nombreux Musulmans modérés.
Rappelons seulement que quelques jours après son investiture, en juin 1954,
Mendès France qui recevait Ferhat Abbas lui disait ceci «Tout est calme en
Algérie » et le leader de l’U.D.M.A. de lui
répondre : « détrompez-vous Monsieur le Président ;
l’Algérie est calme parce qu’elle est mécontente, elle n’a plus confiance en
ses dirigeants… »
Alors
la véritable question est : pourquoi et comment en est-on arrivé à ce
point de non retour que fut la Toussaint 1954 alors qu’en haut lieu, tout le
monde savait qu’on était à la veille d’un de ces formidables bouleversements
dont l’Histoire a le secret.
Il convient toutefois de conclure en
rappelant des faits qui risquent de bouleverser des certitudes ancrées dans les
mentalités depuis cinquante ans. En effet, l’Histoire a accrédité le 1°
novembre comme le début de la libération nationale algérienne ; il faut y
voir la commotion provoquée par la simultanéité des attentats (5) sur tout le
territoire et le « battage médiatique » qui s’en suivit ; il
faut y voir également la propagande du F.L.N. dès novembre 1954, mais aussi
après l’indépendance, qui dans les manuels d’histoire inculque qu’il y a une
Algérie d’avant le 1° novembre et une Algérie après le 1°novembre. Pourtant
l’historien objectif est obligé de constater que l’Algérie ne s’embrasa pas
durant l’hiver 1954 et le printemps 1955. Georges-Marc Benamou appelle cette
période « la guerre invisible… guerre cantonnée à quelques maquis des
Aurès et de Kabylie » (6). Pis, les Algériens dans leur grande majorité ne
suivent pas les terroristes tant ils ne sont pas convaincus de la réussite de
leur action, mais également l’assassinat de l’instituteur fut longtemps
condamné, y compris par les Aurésiens. Le 1° novembre 1954 demeure davantage un
jour symbolique qu’un événement d’une efficacité militaire d’importance. En
réalité, si l’on doit retenir une date, c’est celle du 20 août 1955 qui vit, à
l’initiative de Zighout Youssef chef de la wilâya 2, lequel était lui aussi un
militant connu du M.T.L.D., l’insurrection du Constantinois ; ce jour-là
dans une trentaine de localités, des foules de Musulmans armées de haches, de
couteaux, de fourches et encadrées par des membres de l’A.L.N. s’élancèrent
contre des civils européens massacrant plusieurs dizaines de personnes et en
blessant grièvement au moins une centaine. Pour la première fois, le F.L.N.
pouvait organiser une action d’envergure en s’appuyant sur les masses. Il
n’apparaissait plus comme un groupuscule mais comme un mouvement capable de se
rallier des foules, qui prenait ses distances avec son manifeste du 1° novembre
dans lequel il affirmait qu’il respecterait les intérêts des Européens et les
civils, et qui à partir de ce jour utiliserait tous les moyens pour parvenir à
ses fins, y compris la violence la plus aveugle et la plus horrible afin de
répandre la terreur chez les Français mais aussi chez les Musulmans non encore
acquis à sa cause ; stratégie de la terreur qui, si elle fut
officiellement condamnée au congrès de la Soummam en 1956, fut en réalité
entérinée car aucun des responsables des exactions (Zighout, Amirouche pour le
massacre d’Oued Amizour, connu également sous le nom de Tifraten ( 7) ne fut
jugé.
Notes :
(1)
selon
Yves Courrière in Les Fils de la Toussaint, première édition, Fayard,
Paris, 1968.
(2)
Selon
Jean-Pierre Peyroulou in Rétablir et maintenir l’ordre colonial : la
police française et les Algériens en Algérie Française de 1945 à 1962,
communication parue dans La Guerre d’Algérie 1954-1962 la fin de l’amnésie
collectif sous la direction de Harbi Mohammed et Stora Benjamin, éditions
Robert Laffont, Paris, 2004, pp.97-133.
(3)
Journal du dimanche, du 31 octobre
2004.
(4)
Il
s’agit de Zoubir Bouhadjadj, de Mohammed Merzougui et de Othmane Belouizdad.
(5) le bilan humain des attentats
du 1°novembre s’élève à 6 tués dont 5 Européens, parmi lesquels l’Européen
abattu à Cassaigne qui fut la première victime de la guerre d’Algérie et 7
blessés.
(6) Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, éditions
Robert Laffont, 2003.
(7) le 13 avril 1956, plusieurs centaines de
personnes (probablement 490) habitant le village de Oued Amizour, en Kabylie, furent massacrées,
car soupçonnées d’avoir dénoncé des exactions du F.L.N.