samedi 27 décembre 2014

Du discours de Carthage à l'élection de Beji Caïb Essebsi

Le 31 juillet 1954, Pierre Mendès France, alors Président du Conseil, prononçait le célèbre discours de Carthage qui ouvrait la porte à l'indépendance de la  Tunisie et du Maroc.
Quelques jours plus tôt, le 20 juillet, les accords de Genève -consécutivement au désastre de Dien Bien Phû survenu le 7 mai- octroyait l'indépendance à toute la  péninsule indochinoise et trois états nouveaux naissaient, le Viet Nam, le Laos et le  Cambodge.
L'Empire Français, ou plutôt l'Union Française s'effritait.
Le 4 août, de violentes émeutes éclataient au Maroc, les manifestants revendiquant entre autre le retour du Sultan que la  France avait exilé.
Par contre en Tunisie, Bourguiba appelait à cesser les hostilités contre les intérêts français.
Le 1er novembre en Algérie, survenaient les attentats de la  Toussaint Rouge, qui firent l'objet du premier article de mon blog. Le 12 novembre, François Mitterrand, ministre de l'Intérieur de Pierre Mendès France déclarait la guerre au F.L.N. et proclamait que "l'Algérie, c'était la  France". Est-ce pour cela que la Gauche française s'est depuis engagée dans une politique de repentance, afin de  faire oublier la politique qu'elle mena en Algérie au moins jusqu'en 1958?
En Tunisie, la voie vers l'indépendance à laquelle elle accéda le 20 mars 1956 était toute tracée.
Lamine Bey fut le dernier souverain et fut déposé par Habib Bourguiba qui exerça un pouvoir autoritaire durant trente années. Le "vieux lion" viellissant et fatigué fut à son tour déposé par Zine el Abidine Ben Ali qui exerça lui aussi vingt quatre années durant un pouvoir autoritaire avant d'être contraint à l'exil en janvier 2011 par "la révolution de jasmin". Les trois années qui suivirent furent quelque peu chaotiques, comme tous les lendemains de révolutions.  Il y a quelques jours Beji Caïd Essebsi a été démocratiquement élu, semble-t-il. Essebsi avait 28 ans lors du discours de Carthage et faisait alors partie de la garde rapprochée de Bourguiba.
Il aura donc fallu soixante années pour que la Tunisie accède au statut de pays démocratique. Hier, sur une chaîne de télévision, l'écrivain algérien Boualem Sansal affirmait qu'aucun pays arabe n'avait encore accédé à l'état de droit. Certes, l'Algérie, soixante ans après la  Toussaint Rouge et cinquante deux ans après son accession à l'indépendance est toujours sous la férule autoritaire du F.L.N. qu'une Gauche française a encensé, oserai-je affirmer que, si elle ne  l'encense pas, du moins ne condamne-t-elle pas ce régime antidémocratique.
Que dire du Maroc et des espérances qu'avait suscitée l'accession au trône de Mohamed VI ?
Que dire de la Lybie indépendante depuis soixante trois ans? Quant à l'Egypte...
Mais peut-être doit-on une nouvelle fois accuser le colonialisme  de tous les maux et d'avoir engendré des dictatures?
Puis-je affirmer qu'en Tunisie, Essebsi, c'est le changement dans la continuité?
Mais, objectivement, je me dois de souhaiter à la Tunisie nouvelle de réussir son entrée dans la voie démocratique et d'être un exemple pour le Maghreb.

vendredi 26 décembre 2014

anniversaires et commémorations (suite)

L'année 1944 est fertile en événements qu'on aurait pu commémorer avec faste.
Rappelons ainsi "la Conférence de Brazzaville" qui s'est tenue du 30 janvier au 8 février. Et profitons en pour citer des extraits du discours de de Gaulle: " Nous lisons de temps à autre que cette guerre doit se terminer par ce qu'on appelle un affranchissement des peuples coloniaux. Dans la France coloniale, il n'y a ni peuple à affranchir ni discrimination raciale à abolir.  Il y a des populations qui se sentent françaises...Il y a des populations qui se sentent françaises et que nous entendons conduire par étapes à la personnalité, pour les plus mûres aux franchises politiques, mais qui n'entendent connaître d'autre indépendance que l'indépendance de la France... les fins de l'oeuvre de civilisation accomplie par le France dans les colonies écartent toute idée d'autonomie, toute idée d'évolution hors du bloc français de l'Empire; la constitution éventuelle -même lointaine- de self government dans les colonies est à écarter".
Le grand homme manquait quelque peu de vision à long terme; d'autant que quelques jours plus tôt, alors qu'a été présenté à Marrakech par les nationalistes marocains le Manifeste de l'Istiqlal, de Gaulle dépêche immédiatement à Rabat, René Massigli commissaires aux Affaires Etrangères du CFLN pour contraindre le  Sultan qui a cautionné le texte de retirer les termes d'indépendance et de nation marocaine.

mardi 23 décembre 2014

Anniversaires et commémorations (suite)

Dans mon article précédent, j'avais signalé combien 2014 était une année à commémorations. D'aucun aurait pu me reprocher d'avoir omis 1914, le centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale et son impact au Magrheb. Je renverrai le lecteur à mon article "Alger pendant la Grande Guerre" paru dans Alger, 1860-1939" chez Autrement en 1999.

Je choisirai de  mettre l'accent sur le rôle de l'Armée d'Afrique. 300 000 soldats de cette armée ont été engagés dans ce conflit, 190 000 Indigènes et 110 000 Français. Dans chaque cas, les pertes s'élèveront à un cinquième de l'effectif. Ces troupes sont confrontées à des combats d'une extrrême vioence dès les débuts des combats. Le 22 août, sur laa Sambre le 2ème Zouaves perd 1 000 hommes. Sur la  Marne, trois divisions de l'Armée d'Afrique sont engagées. Le 5 septembre, les Chasseurs de la Brigade Marocaine perdent un millier d'hommes dont 9 officiers. Sur l'Ourcq, le jour de la mort de Charles Péguy, le lieutenant Alphonse Juin -futur maréchal de France- à la tête d'un régiment de Chasseurs est grièvement blessé à quelques centaines de mètres du poète. Lors de la bataille de la Marne, le tribut de la Brigade Marocaine est lourd; des 5 000 hommes, il n'en reste que 700 qui seront incorporés dans le 1er Tirailleurs Marocains afin de reconstituer un régiment; celui-ci aura l'honneur de porter sur son drapeau, l'inscription "la Marne". Parmi les survivants de la Brigade Marocaine, un nom mérite d'être cité, celui de Gouraud qui sera au lendemain de la guerre Haut Commissaire de la République au Levant. 1914 s'achève avec des combats sur l'Yser et à Ypres où s'illustrent les Zouaves.

Je n'irai pas plus loin dans les exploits de ces régiments tout au long des quatre années de guerre car j'ai donné un long article s'intitulant "l'Histoire de l'Armée d'Afrique" à la revue interne de l'association Racine Pieds Noirs présidée par mon ami Christian Fenech, revue qui devrait paraître sous peu.

dimanche 21 décembre 2014

Anniversaires et commémorations

La France aime les anniversaires et les commémorations! 2014 y aurait dû être propice, mais la sélectivité de la mémoire est passée par là. Jugeons donc. 11 janvier 1944, parution du Manifeste de l'Istiqlal qui est présenté le lendemain à Marrakech à de Gaulle lors de sa rencontre avec Churchill. 30 janvier-8 février 1944, conférence de Brazzaville. 15 mars 1944, l'appellation "Empire Français" disparaît au profit de "l'Union Française", voilà qui aurait dû ravir nos anticolonialistes primaires toujours prompts à dénoncer l'impérialisme et lle colonialisme. 22 juillet 1944, fin de la Campagne d'Italie où s'illustrèrent les régiments de l'Armée d'Afrique -composée certes de 52% "d'Indigènes" pour reprendre une expression qui connut récemment son heure de gloire, et de 48% de Français d'Algérie du Maroc et de Tunisie- et où s'illustrèrent des chefs glorieux de ces régiments; citons au moins pour mémoire les généraux Juin et de Montsabert. Ces chefs et leurs soldats montrèrent leur bravoure l'année précédente lors d'une campagne oubliée, celle de Tunisie. Certes, le débarquement de Provence fut commémoré, mais qu'apprit-on réellement sur l'Armée d'Afrique? Voilà donc pour les soixante dixièmes anniversaires. L'année 1954 fut également fertile en événements dont on aurait pu commémorer les soixantièmes anniversaires. Le triste désastre de Dien Bien Phû. L'indépendance de la péninsule indochinoise. Le discours de Carthage de Pierre Mendès France. La Toussaint sanglante et ses victimes innocentes dont peut-être la plus emblématique fut ce jeune instituteur français fraîchement débarqué de Métropole pour alphabétiser et apporter la culture -impérialiste diront nos anticolonialistes primaires- à des enfants vivant dans le djebel. Mon propos sera donc au cours des jours qui suivent de rappeler certains faits oubliés, de mettre en exergue ceux que les médias ou certains confrères historiens occultent.

samedi 20 décembre 2014

La Toussaint sanglante : 1° novembre 1954, Chronique d’une insurrection annoncée.

      Dans la nuit du 31 octobre au 1° novembre 1954, entre 23 h 45 et 3 heures du matin, l’Algérie est secouée par une vague d’attentats. Le premier touche une caserne située entre Boufarik et Blida ; il s’agit pour des rebelles sous les ordres de Amar Ouamrane un Kabyle qui deviendra plus tard responsable de la wilâya 4 et ministre du G.P.R.A. de se saisir du stock d’armes ; l’opération est un échec car le commando rafle 4 mitraillettes et 6 fusils. A quelques kilomètres de là un scénario identique s’est reproduit à la différence que le commando a laissé trois morts et des blessés et n’a pu prendre des armes. Au même moment, la coopérativede Boufarik brûle.
A 0h15, le préfet d’Oran reçoit un coup de téléphone l’informant que la gendarmerie de Cassaigne vient d’essuyer des rafales de mitraillette et qu’un Européen a été tué ; d’autre part à quelques centaines de mètres de là un gardien a été assommé et son fusil lui a été volé. Le préfet est persuadé qu’une série d’événements aussi graves dans une région habituellement calme n’est pas le fruit du hasard. Il ne sait pas encore, il l’apprendra plus tard, que deux fermes ont été mitraillées et que le transformateur du centre d’Ouillis a été attaqué ; le garde ayant été blessé. D’autre part de nombreux poteaux télégraphiques ont été sciés et des fils téléphoniques sectionnés.
       A Alger à 0h45, une explosion retentit à l’usine à gaz .A la même heure, deux bombes sont placées à Radio Alger, rue Hoche, ainsi qu’aux pétroles Mory rue de Digne sur les quais du port. Une autre vise le central téléphonique du Champ de Manœuvre. Nulle part les dégâts ne seront importants ; le projet d’embraser Alger est un échec.
     Constantinois : 2 heures. Sur la route de Philippeville, la gendarmerie de Condé-Smendou a été attaquée. A dix kilomètres de Constantine, au Kroub c’est la caserne qui a essuyé des coups de feu, dans les deux cas rien de grave n’est à signaler.
     2h30 : Biskra .Simultanément, le commissariat et la centrale électrique ont été attaqués. On dénombre quatre Européens blessés dont deux policiers. Alerté par téléphone, le sous-préfet, en résidence à Batna déclenche l’alerte générale. Au même instant, des coups de feu retentissent à la caserne, deux militaires français sont mortellement touchés. Le sous-préfet ne sait pas que Hadj Lakhdar Abidi -futur responsable de la wilâya 1- qui a dirigé l’attaque l’a eu dans sa ligne de mire deux heures auparavant et qu’il n’a pas tiré car il était trop tôt !
    3 heures : Kenchela, dans les Aurès. Trois rebelles ont pénétré dans le commissariat et sous la menace de leurs armes se font remettre les revolvers des gardiens de la paix. Le transformateur électrique a sauté ; l’explosion a réveillé en sursaut le lieutenant Darnault qui s’habille à la hâte et sort sur le pas de la porte de la caserne. Cinq coups de fusil sont tirés : le lieutenant et une sentinelle s’écroulent, morts. Les spahis de la caserne ripostent, deux rebelles sont blessés.
Toujours dans les Aurès, à T’Kout, à l’entrée des gorges de Tighanimine, la gendarmerie avec ses dix gendarmes, quatre épouses et cinq enfants est assiégée. Dans cette région aussi, les liaisons téléphoniques et télégraphiques ont été coupées et la localité d’Arris est complètement isolée. Au petit matin, le car Biskra-Arris et ses passagers est stoppé par des inconnus dans un virage ; ils en font descendre un jeune couple d’instituteurs récemment arrivés de Métropole et un caïd ; une rafale claque, le caïd s’effondre, les deux instituteurs également, le jeune homme décèdera quelques heures plus tard, la jeune femme survivra.
      Dès 3h30 à Oran, à 4 heures à Alger et à Constantine, des cellules de crise sont réunies.
     A Oran, le préfet Lambert est persuadé qu’il s’agit du début d’une insurrection ; le général Wiedespach-Thor, commandant la place d’Oran et le commissaire central sont sceptiques. Mais les ordres du préfet sont formels : appliquer les mesures de l’état de siège, procéder à des arrestations chez les nationalistes fichés par les R.G., multiplier les contrôles d’identité. A l’aube 8 musulmans ont été tués ; sur six d’entre eux on a trouvé des armes ; l’un des deux non armés, s’appelle Ramdane Ben Abdelmalek ; il a assisté à la réunion des 22,- dont nous parlerons ultérieurement- c’est un adjoint de Ben M’Hidi. Il est le premier chef de la rebellion à tomber, mais le policier qui enregistre son nom ne le sait pas encore.
Si à Constantine, le général Spillmann commandant la garnison semble surpris, le préfet Dupuch l’est beaucoup moins, lui qui, quelques heures plus tôt avait étudié avec son ami Jean Deleplanque sous-préfet de Batna le problème de la perméabilité de la frontière tunisienne. D’ailleurs à Batna, le sous-préfet a réagi à la manière de Lambert à Oran, avec une priorité, joindre la localité d’Arris.
     A Alger, le Gouverneur Général Léonard a convoqué le directeur de la Sureté Jean Vaujour et le  commandant en chef Paul Cherrière ; la situation est jugée seulement préoccupante, sauf peut-être par Vaujour ; toutefois le risque d’un embrasement des Aurès est évoqué, et il faut se résoudre à prévenir Paris, c'est-à-dire Pierre Mendès-France le président du Conseil et François Mitterrand le ministre de l’Intérieur, et à demander des renforts.
    La radio annonça les attentats dans le courant de la matinée, mais en ce jour férié peu de gens l’écoutaient. A 17 heures parut le journal T.A.M. Dernières Nouvelles dont la diffusion n’était pas très forte. Ce ne fut donc que le 2 novembre que tous les quotidiens titrèrent sur les événements de la veille.
       Peut-on parler de surprise ?
          Pour répondre à cette question, il est nécessaire de remonter quelques années en arrière dans l’histoire du nationalisme algérien.
     Les premières revendications à caractère nationaliste virent le jour dans les années 1920. On peut affirmer que le lendemain de la première guerre mondiale fut un rendez-vous manqué entre musulmans désireux de s’intégrer à la nation française et les gouvernants français qu’ils fussent à Paris ou à Alger. En effet fort de leur engagement aux côtés des soldats français dans la lutte contre l’Allemagne, les Musulmans assimilationnistes espéraient dans le meilleur des cas un accès à la citoyenneté sans perdre leur statut personnel. D’autre part, nombreux étaient ceux qui réclamaient la création d’un corps électoral indigène avec une représentation au Parlement. Toutefois, des réformes jugées insuffisantes par les Musulmans permirent l’accroissement du nombre d’électeurs chargés d’élire les délégués financiers, les conseillers généraux et municipaux.
     L’une des figures les plus revendicatives de cet immédiat après-guerre fut indéniablement l’Emir Khâled, petit-fils d’Abd el Kader, capitaine de l’armée française, trois citations, deux ans au front à la tête de goumiers qu’il galvanisait. Attaqué par l’Action française, également par l’influent député de Constantine Morinaud, Khâled se retira en Syrie en 1923. Après la victoire du Cartel des Gauches en 1924 il tenta de revenir sur la scène politique, mais ce fut un échec et Khâled mourut à Damas en 1936. Le « khâlédisme » avait marqué les esprits et lorsqu’en 1926 fut créée l’Etoile nord-africaine, elle se donna pour président d’honneur, l’Emir Khâled. L’Etoile est fondée par Hadj Ali Abd el Kader, membre du P.C.F. et par Hassan Issad, membre de la C.G.T.U. Elle apparaît donc comme une filiale du parti communiste. Très vite Hadj Ali laisse la place à Messali Hadj qui devient le chef de l’Etoile nord-africaine le 20 juin 1926. Né à Tlemcen en 1898, Messali est un Kouloughli et issu de la confrérie des Darqawa ; sergent de l’armée française jusqu’en 1921, il est déjà fiché par les R.G. ; en 1925 il est affilié au parti communiste. En 1927 il élabore un programme révolutionnaire qu’il expose à Bruxelles lors du Congrès de la Ligue contre l’Impérialisme. Dans ce programme, il demande «  l’indépendance de l’Algérie, le retrait des troupes françaises, l’élection d’un Parlement algérien au suffrage universel ». En 1928, l’Etoile compte 4 000 adhérents ; en novembre 1929, l’Etoile est dissoute par les autorités françaises, ce qui n’empêche pas Messali d’envoyer en 1930 un mémorandum à la S.D.N. dans lequel il dénonce «  le mythe de la mission civilisatrice de la France en Algérie ». En 1933, il reconstitue, avec l’aide de deux compagnons, Imache et Radjef, le parti sous le nom de Glorieuse Etoile nord-africaine et se rapproche du Destour tunisien et des Jeunes Marocains. Dans ses discours, Messali parle déjà de la nécessité « d’une insurrection armée pour jeter les Français à la mer… du drapeau vert du Prophète qui remplacera un jour le drapeau tricolore ». Il célèbre également « la glorieuse histoire de l’Algérie… la noblesse de son peuple issu d’une noble race ». Ses textes offrent des relents de xénophobie et d’antisémitisme ; le journal l’Humanité s’en inquiète ; Messali interdit à ses militants d’appartenir aussi au parti communiste. En 1935, Messali, Imache et Radjef sont respectivement condamnés à 1 an, 8 mois et 6 mois de prison ; mais Messali s’enfuit à Genève chez Chakîb Arslân idéologue des Oulémas Réformistes autre mouvement contestataire qui, lui, affirme que l’Islam est l’élément fondamental de la vitalité du peuple algérien lequel doit se fondre dans une nation arabe. En 1937, le Gouverneur Général LeBeau demande et obtient avec le soutien des socialistes et des communistes la dissolution de la Glorieuse Etoile. Le 11 mars 1937, Messali, qui entre temps a été amnistié, crée le Parti Populaire Algérien. Le 14 juillet de la même année, plusieurs centaines de militants du P.P.A. défilent dans Alger, en brandissant des drapeaux verts et en criant des slogans tels que « Parlement algérien… Terre aux fellahs… Respect de l’Islam… Des écoles arabes… » La presse communiste dénonce « les nationalistes messalistes (comme étant) des agents de Mussolini ». Auparavant, pour contrer le mouvement messaliste qui échappait à son contrôle, le P.C.F. avait créé le Parti Communiste Algérien. En août 1937, Messali est arrêté. En octobre 1937, aux élections cantonales d’Alger, le P.P.A. présente Messali, bien que ce dernier soit inéligible ; il obtient au premier tour un tiers des suffrages et au second tour la moitié. En totalisant les voix obtenues par une autre candidature à Alger, le P.P.A. obtenait 5 377 suffrages sur 25 000 votants. En septembre 1939, le P.C.A. et le P.P.A. sont dissous.
            A la même époque d’autres mouvements affirmaient des revendications nationalistes, mais pour certains le religieux était le fondement du politique. Ainsi le Mouvement des Oulémas réformistes dont il a déjà été question développe très tôt, dès le début des années vingt, la notion de nationalité algérienne à travers un de ses penseurs, le cheikh Ben Bâdis ; sa pensée sera relayée de façon plus radicale vers l’islamisme par Chakîb Arslân déjà cité, et par Tawfiq el Madani, tunisien, un des fondateurs du parti destourien, expulsé de Tunisie par les Français lequel rédigea en 1932 Le Livre de l’Algérie qui devint l’encyclopédie du nationalisme algérien. Ben Bâdis entretient des contacts avec les Arabes de Syrie et de Palestine, mais aussi avec les Tunisiens, et en mai 1937, il met en garde le gouvernement français contre le risque d’une révolte du Maghreb tout entier.
          L’autre figure qui émerge également dans les années trente est celle de Ferhat Abbas qui tout d’abord présida l’amicale des Etudiants ; il aspirait alors à une Algérie égalitaire et rêvait de la « formation par la culture franco-musulmane d’une France orientale en Algérie ». Conseiller municipal de Sétif, puis conseiller général, il tenta de créer un parti politique musulman puis en 1938, de créer l’Union Populaire Algérienne ; ce fut un échec. En opposition à Ben Bâdis et à Messali il se rendit célèbre en 1936 par un discours récupéré plus tard par des politiques et des intellectuels français, discours dans lequel il affirmait « cette patrie (la nation algérienne) n’existe pas, je ne l’ai jamais découverte ».Sa position évoluera considérablement.
       Ce rappel semblera un peu long, il était toutefois nécessaire pour affirmer qu’à la veille de la seconde guerre mondiale tous les éléments du puzzle nécessaire à la naissance d’un mouvement insurrectionnel sont rassemblés : des partis structurés (deux), des figures écoutées et pourchassées par le pouvoir en place, des penseurs et bien sûr des idéologies qui si parfois se révèlent en concurrence, rallient bon nombre de Musulmans au concept de nation algérienne.    
     La guerre viendra interrompre cette dynamique. Pourquoi ?
     Les Algériens se trouvèrent divisées quant à l’attitude à adopter face au conflit franco-allemand ; parmi leurs élites, une minorité dont Chakîb Arslân était séduit par l’idéologie nazie et écoutait Radio Bari qui émettait en arabe ; les Italiens finançaient le comité d’action révolutionnaire nord-africain (C.A.R.N.A.) né au sein du P.P.A. Messali s’était prononcé  pour l’insoumission et le refus de porter les armes. Par contre , le docteur Bendjelloul conseiller général de Constantine, Ferhat Abbas ou encore le cheikh Ibrâhimi vice président des Oulémas réformistes se prononcèrent pour le soutien à la France. Qu’en fut-il des obscurs militants ? Certains se firent gloire plus tard de leur insoumission et y acquirent quelque célébrité comme Lamine Debaghine qui prit la direction du P.P.A. clandestin en 1942 et jouera un rôle important au F.L.N. dès le début de l’insurrection. Mais il semble bien que la grande masse de la population  masculine musulmane répondit présent à la mobilisation « dans un ordre et une discipline admirable » si l’on croit le gouverneur général Le Beau. La défaite française surprit les Musulmans d’Algérie, mais au début du moins, le régime de Vichy fut bien accueilli tant était grand le prestige du maréchal Pétain ; l’abrogation du décret Crémieux fut reçu avec une certaine satisfaction. Toutefois, Pétain annonça  des réformes qui ne vinrent jamais et, au contraire, se lança dans une politique répressive. Ferhat Abbas adressa alors au maréchal en avril 1941 un mémoire intitulé l’Algérie de demain qui proposait un plan de réformes inspirée de la révolution d’Ataturk en Turquie. Il reçut une fin de non recevoir. Quelques jours auparavant Messali avait été jugé pour atteinte à la sûreté de l’état et condamné à seize ans de travaux forcés et nombre de ses amis s’étaient vu infliger des peines comprises entre dix et quinze ans de prison. Le cheikh Ibrâhimi avait été également emprisonné ainsi que quelques militants membre des Oulémas. Parallèlement la situation économique de l’Algérie se détériorait, hiver 1940-41 rigoureux, pénurie de céréales et de matières premières, hausse des prix des denrées alimentaires. Le général Weygand, devenu gouverneur général de l’Algérie le 17 juin 1941 avisait Vichy du changement de la population : « les Musulmans se montrent indisciplinés, impolis parfois insolents ». Le 27 août 1941 le docteur Bendjelloul prévenait Vichy « du fossé creusé entre Français algériens et Musulmans …La situation est très grave » ajoutait-il. C’est dans ces conditions dramatiques que survint le débarquement allié de novembre 1942. Le général Giraud, nouveau proconsul en Algérie se révéla plus soucieux de lever une armée en mesure d’aider les anglo-américains, que d’appliquer un minimum de réformes indispensables à l’amélioration de la qualité de vie tant des Français que des Musulmans d’Algérie. En décembre 1942, douze personnalités algériennes envoyèrent aux nouvelles autorités responsables un « message subordonnant la participation des Musulmans à l’effort de guerre, à l’élaboration d’un nouveau statut politique et économique basé sur la justice sociale et assurant leur affranchissement politique ». Cette fois encore, ils reçurent une fin de non recevoir. A un deuxième message, les autorités répondirent qu’elles réuniraient une commission chargée d’étudier les problèmes. Comme les autorités tardaient à réunir la commission, Ferhat Abbas et ses amis décidèrent d’adresser un Manifeste aux nations alliées. Le Manifeste du peuple algérien contre signé par trente personnalités algériennes, conseillers municipaux, généraux, délégués financiers,  fut remis officiellement le 31 mars 1943 au gouverneur général Peyrouton, et le lendemain aux représentants des forces alliées. Le texte contenait entre autres les revendications suivantes : condamnation et abolition de la colonisation, reconnaissance de la nationalité et de la citoyenneté algériennes, droit du peuple algérien à disposer de soi, et surtout l’Algérie demandait à être dotée d’une constitution propre, «  républicaine et sociale ». Le gouverneur général accepta le texte comme base de réformes à venir et demanda aux signataires de définir un programme moins ambitieux et donc plus facilement applicable. Le nouveau document connu sous le nom d’Additif au Manifeste fut remis au général de Gaulle le 10 juin 1943. Si certaines revendications avaient disparu pour ne par heurter certains lobbies, entre autre le colonat, le fond n’avait pas changé puisqu’il réclamait « à la fin des hostilités, la création d’un état algérien doté d’une constitution propre qui serait élaborée une assemblée algérienne constituante élue au suffrage universel par tous les habitants de l’Algérie ». Avec toutefois une concession importante, «  un droit de regard de la France et une assistance militaire des Alliés en cas de conflit ». Mais Peyrouton avait été remplacé le 1°juin par le général Catroux, et ni lui, ni de Gaulle n’étaient en mesure d’accepter les principes du Manifeste. De Gaulle, par contre proposa dans un discours prononcé à Constantine le 12 décembre 1943 un certain nombre de réformes que le cheikh Ibrahîmi et Messali mais aussi Ferhat Abbas accueillirent avec dépit, car très en deçà de ce qu’ils espéraient. Finalement, une ordonnance du 7 mai 1944 octroyait à certaines catégories la citoyenneté française, ce qui concernait 65 000 nouveaux électeurs musulmans votant au Collège Unique avec les Européens. En réaction, le 14 mars 1944, fut créé le mouvement des Amis du Manifeste Algérien,  qui devint Les Amis du Manifeste et de la Liberté (A. M. L.) ce qui équivalait à la création d’un parti nationaliste algérien « bourgeois » dont les revendications rejoignaient celles des « prolétaires » du P.P.A. Abbas avait d’ailleurs quelques temps auparavant rencontré Messali qui avait été libéré et assigné à résidence, pour tenter de mettre au point une plate-forme commune, Messali ayant cédé momentanément sur l’idée d’une République algérienne associée à la France. Le P.P.A. avait quant à lui, lancé dès décembre 1943 une campagne de refus de la mobilisation ; parmi des militants arrêtés pour avoir mené cette action se trouvait Ben Khedda, futur président du G.P.R.A .L’année 1944 vit l’étalage au grand jour de revendications nationalistes provenant d’obédiences aussi différentes que des jeunes issus des scouts musulmans, de militants du P.P.A. toujours clandestin, ou des Oulémas dont certains avait fait le voyage au Caire pour animer un comité de défense de l’Algérie. Parallèlement le mouvement des A.M.L. d’Abbas voyait son nombre d’adhérents augmenter. Mais la police constatait que nombre de nouveaux militants des A.M.L. étaient également des militants du P.P.A. La Conférence centrale des A.M.L. qui se tint du 2 au 4 mars 1945 en l’absence d’Abbas malade vit triompher les thèses radicales du P.P.A. à savoir l’indépendance immédiate de l’Algérie ; l’idée de fédération avec la France étant rejetée, par contre était adoptée l’idée d’une Algérie libre et fédérée dans une ligue des nations arabes. Abbas et ses amis  eurent  bien conscience qu’ils étaient débordés, mais c’était trop tard ; le 2 avril 1945 ils lançaient un appel au calme. Auparavant, le préfet de Constantine notait dans un rapport au gouverneur, « toutes les circonstances favorables à l’éclosion d’événements graves sont réunies ». Le 31 mars 1945, ce même préfet lançait un appel à la prudence : « il convient de veiller à ce qu’aucun événement sanglant ne sépare définitivement Français et Musulmans ». Le 19 avril, Messali était arrêté. Le 1° mai des manifestants réclamaient la libération de Messali ; à Alger, des heurts violents opposèrent nationalistes et forces de l’ordre et firent 3 morts et 13 blessés chez les manifestants ; la police procéda entre le 2 et le 6 mai à une trentaine d’arrestations préventives ; les services de renseignement étaient convaincus qu’une insurrection générale devait être déclenchée le jour de l’armistice, ce que démentirent plus tard les dirigeants du P.P.A. Toutefois, ils conviennent qu’il y avait bien idée d’insurrection, mais à une date non précisée, et que Messali avait donné son accord pour la proclamation d’un gouvernement algérien près de Sétif, à la ferme des Maïza. Quoiqu’il en soit, le 8 mai, éclatèrent les tragiques événements de Sétif et du Constantinois dont le bilan très lourd, tant du côté européen que musulman, demeure toujours controversé. Encore aujourd’hui, l’Algérie veut honorer les 45 000 victimes de la répression, chiffre hautement fantaisiste. Mais il est assuré que face à l’ampleur de la répression, la direction politique du P.P.A. décida de reporter sine die toute idée d’insurrection générale ; Messali aurait même à compter de ce jour, considéré l’insurrection comme une utopie. Aussi, après son amnistie et son retour en Algérie, il décida de se lancer dans des actions de type légaliste et créa un nouveau parti, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (M.T.L.D.) qu’il présenta aux élections de novembre 1946. Cette option mécontenta une partie des militants qui voulaient continuer la lutte clandestine armée, dont le docteur Debaghine, déjà cité. Les partisans de la lutte armée obtinrent le 12 février 1947 la création d’un P.P.A. clandestin doté d’une branche militaire secrète, l’Organisation Spéciale, l’O.S. L’O.S. se lança dès 1948 dans le terrorisme, puisque au cours de cette année, 20 Musulmans pro-français furent assassinés et 8 grièvement blessés. Des groupes de l’O.S. furent arrêtés en 1949 dans la région de Jemmapes alors qu’ils effectuaient des manœuvres militaires. C’est un commando de l’O.S. composé de Ben Bella et de Aït Ahmed qui organisa le hold-up de la grande poste d’Oran en avril 1949. Les renseignements généraux estimaient début 1950 que l’O.S. comptait 1 800 hommes. Parmi les dirigeants de l’O.S. on note des noms qui deviendront des célébrités du F.L.N. tels que Mohamed Khider, Ahmed Ben Bella, Mohammed Boudiaf ou encore Hocine Aït Ahmed. Au printemps 1950, la police française procéda au démantèlement de l’O.S. ; 363 membres furent arrêtés, dont 252 furent maintenus en détention parmi lesquels Ben Bella et Khider. Messali tenta alors de renforcer son pouvoir au sein du M.T.L.D. ; mais le culte de la personnalité dont il usait et abusait était de plus en plus dénoncé par de nombreux militants. En mai 1952, Messali était expulsé d’Algérie. La tenue d’un congrès en avril 1953 révéla les divisions entre messalistes et anti messalistes ; une troisième force désireuse d’offrir  une médiation, échoua. En août 1954, l’implosion du parti était consommée. D’anciens membres de l’O.S. décidèrent de recréer une organisation de combat ; vingt-deux militants se donnèrent une direction collective : Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Bitat, Boudiaf et Didouche. Khider, Aït Ahmed et Ben Bella membres de la délégation M.T.L.D. au Caire donnèrent leur aval. S’y ajoutèrent les Kabyles Belqacem Krîm et Ouamrane. De ces trois groupes devait naître le Front de Libération Nationale le 10 octobre 1954. Il prônait l’insurrection générale qui devait aboutir à « la restauration d’un état algérien démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». L’action armée devait être lancée dans la nuit du 31 octobre au 1°novembre. Simultanément, un texte émanant de la direction du F.L.N. annonçait les objectifs intérieurs et extérieurs de la lutte parmi lesquels on relèvera la volonté d’internationaliser le problème algérien ; dans ce même texte il était proclamé qu’au jour de l’indépendance « les intérêts français …seraient respectés ainsi que les personnes et les familles ».
       Tous les noms des vingt- deux militants de l’été 1954 qui devaient constituer l’ossature  du F.L.N. étaient connus de la police ; tous étaient fichés ; presque tous avaient été interpellés ou arrêtés au moins une fois dans leur vie. Les renseignements généraux ne connaissaient pas l’existence du F.L.N. mais savaient que s’était constitué « un groupe autonome d’action  directe » visant à commettre des actes terroristes sur tout le territoire algérien et qui avait pris le nom de C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action). Mais le C.R.U.A. était divisé entre partisans d’un soulèvement général à court terme et attentistes. Lors de la tenue d’un congrès en juillet 1954, les attentistes furent désavoués et le C.R.U.A. se saborda. C’est donc quelques semaines plus tard que naquit le F.L.N. La police savait également qu’il existait de graves tensions au sein du P.P.A. entre extrémistes et modérés- Boudiaf  ayant été victime d’un attentat perpétré dans la Kasbah par les messalistes ; il riposta avec ses partisans par une expédition punitive au siège du parti place de Chartres-. En fait, les responsables de la sécurité en Algérie étaient obnubilés par les rivalités entre les nationalistes, espérant peut-être qu’ils se neutraliseraient, ce qui occulta vraisemblablement la naissance du F.L.N. Mais la menace d’événements graves planait.
      C’est pourquoi le 23 octobre, le gouverneur général Léonard réunissait dans son bureau Jean Vaujour le directeur de la sûreté et M. Trémeaud le préfet d’Alger pour les informer des derniers rapports des R.G. et leur annoncer sa décision d’envoyer un courrier au ministre de l’Intérieur François Mitterrand le prévenant de la gravité de la situation en Algérie, situation qui était selon lui, sur le point de se détériorer. Plus, Vaujour et Léonard savent par un rapport du commissaire Carsenac que Ben Bella et Aït Ahmed sont au Caire, que Didouche- que la police n’a pu intercepter -fait le lien avec eux en passant par la Suisse et que les Kabyles Krim et Ouamrane ont rallié la rébellion ; ils ont localisé Ben M’hidi à Biskra sans savoir que c’est lui car il circule sous un pseudonyme. Il semblerait que le rapport adressé au ministre de l’Intérieur ne soit jamais arrivé sur son bureau (1) ; une thèse d’un universitaire parisien affirme que ce fameux rapport était vide (2). La polémique  a été relancée récemment par les révélations faites par Jean Vaujour au Journal du dimanche (3) ;  celui-ci affirme que dès mai 1954, il avait prévenu Pierre Mendès-France que des nationalistes algériens s’exerçaient au combat en Tunisie et en Egypte. Face au peu d’échos que suscitent ses révélations il aurait alors adressé un courrier, le 25 septembre à Henri Queuille, président du Conseil en 1950 et 1951 dans lequel il lui demandait d’alerter Mendès-France de l’imminence d’une insurrection.
 Parallèlement, le nouveau commandant en chef des forces armées en Algérie, le général Cherrière s’apprête lui aussi à adresser ministre de l’Intérieur une note de synthèse sur la situation en Algérie. Par contre, son subordonné, le colonel Blanche en poste à Batna venait de lui adresser un rapport tout à fait satisfaisant sur la situation dans le Constantinois ; aussi la note de Cherrière à Mitterrand se voulait-elle rassurante avec toutefois un bémol, «  en cas de coup dur, il disposait de moyens insuffisants manque d’hommes, absence d’unités légères capables d’intervenir rapidement et de poursuivre des bandes armées ayant une bonne connaissance du terrain, et surtout absence  cruelle de moyens concernant le renseignement ». En présence de ces informations, Jacques Chevallier maire d’Alger et secrétaire d’état à la Guerre contacta son ministère pour obtenir un prélèvement des forces d’occupation en Allemagne et reçut l’assurance que la 25°D.I.A.P. serait prête à gagner l’Algérie le 31 octobre sur simple alerte ; d’autre part, Jacques Chevallier avait été prévenu que la situation était en passe de s’aggraver par son ami Si Achmi Ben Chenouf député-maire de Kenchela.
       On peut donc être étonné du rapport rassurant du colonel Blanche, car non seulement il n’a pas de moyens de renseignement comme l’a souligné Cherrière, mais en outre les relations entre les autorités civiles et militaires sont mauvaises ; Jean Deleplanque sous-préfet de Batna est la bête noire du colonel Blanche. Or, Deleplanque et son ami Pierre Dupuch, préfet de Constantine sont inquiets ; les incidents à la frontière algéro-tunisienne se sont multipliés ces derniers temps. D’autre part le chef des R.G. de Constantine avait signalé qu’il venait de localiser une très importante bande d’une soixantaine de fellaghas dans les Aurès ; cette bande était fractionnée en trois groupes, mais les difficultés de « pénétration » interdisaient d’aller voir sur place et donc d’en savoir plus. En outre, les R.G. détestent l’armée qu’ils accusent de leur casser le travail ; passant outre ces rivalités, le directeur de la sûreté d’Alger décide de convoquer à Constantine une super conférence réunissant les sous-préfets, le préfet, les administrateurs, le colonel Blanche et le général Spilmann commandant le Constantinois afin de les mettre au courant de la gravité de la situation. Il ne suscite que l’incrédulité des militaires et le scepticisme des administrateurs. Nous sommes le 29 octobre ; seuls Dupuch, Deleplanque et Georges Hirtz l’administrateur de Biskra sont convaincus qu’il faut agir vite. Les groupes de fellaghas signalés par chef des R.G. existaient bien ; il s’agissait des hommes de Ben Boulaïd. Mais ni les R.G. ni la police ne connaissaient le sigle F.L.N : la clandestinité avait été bien préservée, la structure du F.L.N. s’inspirait de celle des réseaux de la résistance française.
      On est quand même en droit de s’étonner de la naïveté des militaires, car depuis dix ans, l’Aurès échappait totalement à l’autorité française. Les « bandits » de la tribu des Beni Bou Slimane et des Touaba tenaient le pays : attaque de forestiers, meurtres, règlements de compte constituaient le lot quotidien de la vie dans ces montagnes inhospitalières. Pourtant, Spillmann avait, une quinzaine de jours auparavant, signalé que deux gardes champêtres avaient été roués de coups par des hommes se réclamant d’une énigmatique Armée de Libération Nationale ; mais Spillmann ne croit pas à l’éventualité d’une guerre de subversion et demeure obnubilé par la présence de fellaghas tunisiens qui franchiraient impunément la frontière. Enfin, il convient de rappeler que Krim Belkacem avait pris le maquis en 1947, après une affaire d’assassinat dans laquelle il était impliqué et n’avait pu être arrêté depuis, bénéficiant de multiples réseaux d’assistance.
     Comme on le voit la situation est loin d’être sereine en Algérie à la veille de la Toussaint 1954.
     Le ministre de l’intérieur, qui est rentré de son voyage en Algérie le 23 octobre le sait, puisqu’il répond à Pierre Mendès France qui l’interrogeait : «  la situation en Algérie est malsaine… j’espère des renseignements concrets dans un proche avenir ». Des renseignements concrets, il en a déjà puisqu’il a eu connaissance d’un rapport du directeur de la sûreté d’Alger, l’informant de la découverte de la fabrication de bombes artisanales dans la Casbah ! Jean Vaujour en manipulait une dans son bureau, le 22 octobre, bombe que lui avait fournie un informateur ; intrigué et soucieux il avait décidé de rédiger un rapport prévenant de la gravité de la situation. Mieux, Vaujour en aurait directement parlé à Mitterrand lors du voyage de ce dernier à Alger. Enfin, Vaujour qui avait infiltré certaines cellules terroristes de la Casbah, aurait fourni des explosifs peu puissants à base de chlorate de potasse.  
      Alors ! Peut-on parler de surprise, à la lecture de la presse en ce 2 novembre 1954 ?
     Non car au niveau des responsables politiques, militaires, policiers et des renseignements généraux tout le monde savait qu’il était sur le point de se passer quelque chose de très grave en Algérie ; certes la date et l’heure n’étaient pas connues car le secret avait été bien gardé, mais l’état d’urgence aurait dû être appliqué. Le manque de communications entre les différents services, voire la rivalité, les antagonismes, ont contribué à la réussite des actes terroristes du 1° novembre. Une des preuves que la Toussaint rouge aurait pu être évitée fut la rapidité de réaction de la police et des R.G. qui en une dizaine de jours démantela l’organisation du F.L.N. à Alger et à Oran. Certes à Alger, Rabah Bitat avait pu échapper à la police, mais il se retrouvait seul dans la montagne. A Batna, un responsable local du F.L.N. traqué par les hommes du commissaire Courrieu donna tous les noms de l’encadrement de Ben Boulaïd, seul ce dernier passa à travers les mailles du filet. Trois membres du comité des 22 furent très vite arrêtés (4). Un quatrième, Ramdane Benabdelmalek, est abattu le 1° novembre à Sidi Ali à l’est de Mostaganem. Dans l’Aurès, le commandement militaire qui a reçu le soutien d’unités de parachutistes plus mobiles et familiarisées au combat dans le djebel accroche durement des troupes de fellaghas ; une figure légendaire, « bandit d’honneur » jusque là insaisissable et qui courait la montagne depuis sept ans est tué début novembre 1954 ; il s’agit de Belkacem Grine non impliqué dans la rébellion, mais dont l’image mythique de défi aux forces de l’ordre était largement utilisée. Simultanément la police arrête à Ighil Imoula, au cœur de la Grande Kabylie, Ali Zamoun chez qui le communiqué du F.L.N. du 1°novembre avait été tiré. Condamné à mort, puis gracié, il passera toute la guerre en prison et deviendra préfet de Tizi Ouzou après l’indépendance. 
      Bien sûr l’arrestation d’un grand nombre de militants, pour la plupart qui n’étaient pas de hauts responsables, quand bien même auraient-ils été appréhendés avant le 1°novembre n’aurait peut-être pas changé pas le cours de l’histoire. Le mal était plus profond. Il a été développé ici les racines anciennes du nationalisme, le désir de réformes qui animait de nombreux Musulmans modérés. Rappelons seulement que quelques jours après son investiture, en juin 1954, Mendès France qui recevait Ferhat Abbas lui disait ceci «Tout est calme en Algérie » et le leader de l’U.D.M.A. de lui répondre : « détrompez-vous Monsieur le Président ; l’Algérie est calme parce qu’elle est mécontente, elle n’a plus confiance en ses dirigeants… »  
Alors la véritable question est : pourquoi et comment en est-on arrivé à ce point de non retour que fut la Toussaint 1954 alors qu’en haut lieu, tout le monde savait qu’on était à la veille d’un de ces formidables bouleversements dont l’Histoire a le secret.
        Il convient toutefois de conclure en rappelant des faits qui risquent de bouleverser des certitudes ancrées dans les mentalités depuis cinquante ans. En effet, l’Histoire a accrédité le 1° novembre comme le début de la libération nationale algérienne ; il faut y voir la commotion provoquée par la simultanéité des attentats (5) sur tout le territoire et le « battage médiatique » qui s’en suivit ; il faut y voir également la propagande du F.L.N. dès novembre 1954, mais aussi après l’indépendance, qui dans les manuels d’histoire inculque qu’il y a une Algérie d’avant le 1° novembre et une Algérie après le 1°novembre. Pourtant l’historien objectif est obligé de constater que l’Algérie ne s’embrasa pas durant l’hiver 1954 et le printemps 1955. Georges-Marc Benamou appelle cette période « la guerre invisible… guerre cantonnée à quelques maquis des Aurès et de Kabylie » (6). Pis, les Algériens dans leur grande majorité ne suivent pas les terroristes tant ils ne sont pas convaincus de la réussite de leur action, mais également l’assassinat de l’instituteur fut longtemps condamné, y compris par les Aurésiens. Le 1° novembre 1954 demeure davantage un jour symbolique qu’un événement d’une efficacité militaire d’importance. En réalité, si l’on doit retenir une date, c’est celle du 20 août 1955 qui vit, à l’initiative de Zighout Youssef chef de la wilâya 2, lequel était lui aussi un militant connu du M.T.L.D., l’insurrection du Constantinois ; ce jour-là dans une trentaine de localités, des foules de Musulmans armées de haches, de couteaux, de fourches et encadrées par des membres de l’A.L.N. s’élancèrent contre des civils européens massacrant plusieurs dizaines de personnes et en blessant grièvement au moins une centaine. Pour la première fois, le F.L.N. pouvait organiser une action d’envergure en s’appuyant sur les masses. Il n’apparaissait plus comme un groupuscule mais comme un mouvement capable de se rallier des foules, qui prenait ses distances avec son manifeste du 1° novembre dans lequel il affirmait qu’il respecterait les intérêts des Européens et les civils, et qui à partir de ce jour utiliserait tous les moyens pour parvenir à ses fins, y compris la violence la plus aveugle et la plus horrible afin de répandre la terreur chez les Français mais aussi chez les Musulmans non encore acquis à sa cause ; stratégie de la terreur qui, si elle fut officiellement condamnée au congrès de la Soummam en 1956, fut en réalité entérinée car aucun des responsables des exactions (Zighout, Amirouche pour le massacre d’Oued Amizour, connu également sous le nom de Tifraten ( 7) ne fut jugé.



Notes :
(1)   selon Yves Courrière in Les Fils de la Toussaint, première édition, Fayard, Paris, 1968.
(2)   Selon Jean-Pierre Peyroulou in Rétablir et maintenir l’ordre colonial : la police française et les Algériens en Algérie Française de 1945 à 1962, communication parue dans La Guerre d’Algérie 1954-1962 la fin de l’amnésie collectif sous la direction de Harbi Mohammed et Stora Benjamin, éditions Robert Laffont, Paris, 2004, pp.97-133.
(3)   Journal du dimanche, du 31 octobre 2004.
(4)   Il s’agit de Zoubir Bouhadjadj, de Mohammed Merzougui et de Othmane Belouizdad.
(5) le bilan humain des attentats du 1°novembre s’élève à 6 tués dont 5 Européens, parmi lesquels l’Européen abattu à Cassaigne qui fut la première victime de la guerre d’Algérie et 7 blessés.
(6) Georges-Marc Benamou, Un mensonge français, éditions Robert Laffont, 2003.

(7) le 13 avril 1956, plusieurs centaines de personnes (probablement 490) habitant le village de  Oued Amizour, en Kabylie, furent massacrées, car soupçonnées d’avoir dénoncé des exactions du F.L.N.