lundi 19 janvier 2015

Soumission, Houellebecq, l'Islam et Gabriel Audisio.

Ces derniers  jours, Soumission, le  dernier livre de Michel Houellebecq a fait couler beaucoup d'encre. L'auteur a été accusé de mettre de l'huile  sur  le feu, eu égard au  fait que la sortie du livre coïncidait avec  les attentats contre Charlie Hebdo et l'épicerie Casher de Vincennes.
Il s'avère que l'ouvrage reçoit un accueil triomphal en Allemagne où 100 000 exemplaires ont été vendus en une semaine et qu'un nouveau tirage de 50 000 exemplaires est prévu.
Je ne parlerais pas de Soumission, ne l'ayant pas lu. Je retiens toutefois que l'auteur prévoit dans sa fiction qu'en 2022 la  France élit un président de la république musulman; d'où Tollé chez nos bien pensants!
Ce scénario m'a rappelé celui d'un autre ouvrage tombé dans  l'oubli.
En 1925, un jeune écrivain français -lui aussi oublié- Gabriel Audisio, publiait un roman, Trois hommes et un minaret.
L'oeuvre est une fable originale et truculente que  je me permets de vous narrer brièvement. Un Elu arrivant au Paradis est prié par Saint Pierre de raconter ce qui se passe sur la Terre. Venant de France, l'Elu raconte les bouleversements que son pays a vécus. La France s'est vu contrainte de faire appel à de nombreux étrangers pour réparer ses forces -nous sommes, il convient de le rappeler au lendemain de la première Guerre Mondiale- pour assurer la continuité de sa race et mettre à execution un vaste programme de travaux publics. Des racoleurs sillonnent les villes et les campagnes d'Algérie et de nombreux Musulmans s'embarquent pour Marseille d'où ils gagnent Paris. Confronté à l'arrivée sans cesse croissante de nombreux immigrés, le Gouvernement Français dans sa grande générosité conçoit le projet d'édifier en plein coeur de la capitale un Collège Pan Mahométan. Sitôt construit le Collège attira, outre les Musulmans de France, une population hétéroclite composée de "Jeunes Turcs, de Marocains, de Syriens...que leurs pères envoyaient en Occident pour en faire des Musulmans d'élite". Mais bien vite le Collège -qui attire également des touristes et des Parisiens friands d'Orientalisme- révèle un pouvoir magnétique jusqu'alors insoupçonné, surtout le Vendredi, lors de l'appel à la prière. Une foule nombreuse se dirige vers la mosquée du Collège, musulmans évidemment mais aussi chrétiens et mécréants. Ainsi, un voisin, Tristan Lerâle, libre penseur de son état qui assiste à la scène de son balcon, invite passants et amis et juge tout cela "sacré, noble et poétique". D'autre part, le Mufti, homme d'une grande séduction, au regard de braise, séduit Olga une  jeune femme entretenue par un riche négociant bedonnant. Le même jour, le Mufti reçoit la visite  de l'épicière désireuse de lui offrir ses charmes, mais ne la jugeant pas digne de lui octroyer ses faveurs, il la met d'autorité dans les bras de son serviteur. Le libre penseur Tristan Lerâle se convertit à l'Islam et va jusqu'à se faire circoncire par son médecin. Impressionné, le Mufti proclame Lerâle Sultan. Au terme de cette folle journée, l'intrigue bascule dans la démesure. Sous l'influence conjointe des trois hommes, le Mufti devenu "Mufti des Gaules", son serviteur promu "Emir des Armées" et le Sultan, Paris devient musulman. Puis la France devient "la fille cadette de l'Islam". Au Paradis, Nostradamus annonce:"J'avais prédit les faits!". Les pays voisins redoutent la France. Ils ont déroulé sur leurs frontières des cordons sanitaires afin d'empêcher les prosélytes de faire des adeptes chez eux. La France connaît une  mutation économique sans précédent: fin de l'élevage porcin, mévente des vins, fin des spéculations boursières...
A ce stade du récit, Saint Pierre était fort chagriné.
Heureusement,"un nouveau Chales Martel se lève en la personne de Célestin Bobon, pharmacien à Sisteron qui fonde une société secrète, le Fodouk des Marseillais, fomente un soulèvement, rétablit la Bourse et l'élevage porcin, et boute l'envahisseur hors  de France".
Le roman connut des fortunes diverses; après avoir reçu un prix  littéraire, il tomba dans l'oubli, à tel point qu'Albert Memmi dans son Anthologie des écrivains francophones d'Afrique du Nord, cite Audisio, parle de son oeuvre, mais mentionne juste Trois hommes et un minaret dans la biblioggraphie. Il en est de même de Louis Brauquier qui dans Les Cahiers du Sud, n° 20 consacré à Audisio, rappelle leur profonde amitié, loue le  poète, mais oublie de mentionner ce roman.
L'ouvrage a toutefois  été réédité il y a  quelques années chez l'Harmattan.
Quant à Gabriel Audisio, qui s'est longtemps partagé entre la France et l'Algérie, qui a bien connu et vraisemblablement influencé Camus, il est décédé en 1978 à Yssy les Moulineaux.    

Nota: l'intégralité de mon article a été publié dans l'ouvrage Camus, Audisio, Roblès, frères de soleil, éditions Edisud, 2003.

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