Sorti en librairie il y a quelques
semaines, l'ouvrage est présenté en page quatre de couverture comme une œuvre
élaborée "avec le souci d'objectivité et d'exigence intellectuelle qui
seul peut aider à faire progresser la connaissance" .
Notre intérêt est ainsi aiguisé et
nous nous empressons de consulter le livre. Œuvre monumentale qui offre plusieurs
centaines d'entrées, nous décidons d'en consulter quelques unes afin de
vérifier l'assertion qui nous est présentée au dos de l'ouvrage.
C'est ainsi que nous consultons en
premier une notice qui traite d'un sujet longtemps occulté par les historiens français
et dont l'événement a été reconnu par le président de la république en 2022, il
s'agit du massacre d'Européens à Oran le 5 juillet 1962. Première surprise,
l'article a été confié à un archiviste, Fouad Soufi, et non à un historien.
Certes l'archiviste est un Algérien en poste à Oran, il serait donc susceptible
d'être le mieux à même de nous offrir enfin une version authentique des faits.
Et c'est alors que nous sommes confrontés à une deuxième surprise de taille: le
bilan! 25 Européens tués et 76 Algériens! Bilan donné par le docteur Naït
directeur de l'hôpital civil. "A ces chiffres, il faut ajouter [ dit
l'auteur] les personnes enlevées, assassinées et inhumées
clandestinement"; sans aucune précision complémentaire. Fouad Soufi ne
peut pas ne pas connaître les travaux de Jean-Jacques Jordi qui, après des
années d'enquête a conclu à un bilan de 700 Européens tués. Chiffre confirmé
par un autre historien Jean Monneret. Au passage, signalons que si Jean
Monneret est cité dans la bibliographie de la notice, J.-J. Jordi est oublié;
ils sont d'ailleurs les grands oubliés de cet ouvrage. Ni Jordi, ni Monneret
n'ont rédigé une notice dans ce dictionnaire. Pourquoi? Leurs travaux et leurs
conclusions seraient-ils politiquement incorrects et très éloignés du discours
idéologique de Tramor Quemeneur, Raphaëlle Branche et Sylvie Thénaut? Mais
revenons à Fouad Soufi; il ne peut pas ne pas avoir eu connaissance des
charniers du Petit Lac. Enfin comment Fouad Soufi peut-il imputer la mort des
Européens et des Algériens aux seuls "Marsiens"? Quid des
responsabilités de membres de la Z.A.O. (Zone Autonome d'Oran) que Fouad Soufi
exonère avec légèreté en se contentant de citer les paroles rassurantes
prononcées par le capitaine Bakhti le 30 juin! Et "cerise sur le gâteau"
Fouad Soufi conclut: "l'absence de nombreuses archives... contribue à
entretenir le silence sur cette période". Il n'existerait donc pas
d'archives algériennes? Comment croire cela? Les Algériens si prompts à
demander l'ouverture des archives françaises ne sont donc pas prêts à ouvrir
les leurs! Le lecteur objectif est donc consterné par cet article éhonté qui
donne un bilan humain totalement faux de la journée du 5 juillet. Bilan bien
évidemment repris par Sadek Benkada, chercheur en anthropologie sociale à Oran
dans la notice qu'il consacre au général Katz; comme chez Fouad Soufi, une
seule source donnée, celle du docteur Naït! On notera au passage que Katz est
exonéré de toute responsabilité dans sa non intervention lors de la journée
tragique, et que l'auteur est à la limite de l'éloge:" le général réussit
à mener tant bien que mal les opérations de maintien de l'ordre". Le
"tant bien que mal" est bien évidemment à imputer à l'OAS. "Des
tentatives de réconciliation [ entre qui et qui? OAS et FLN? on ne sait] ont
lieu le 28 juin et marquent un répit" [?] Etonnant. Très étonnant. Après
l'incendie du port d'Oran le 25 juin, les derniers membres de l'OAS quittent la
ville.
Mais revenons sur le bilan
humain [de la guerre d'Algérie]; nous
avons eu l'idée de lire la notice qui lui est consacrée par Tramor Quemeneur. Une
page entière consacrée aux morts et blessés algériens, dix lignes sur les
harkis, cinq lignes consacrées aux civils européens. 2 788 morts; je crois
avoir lu qu'en réalité il s'élevait à plus de 3 000 morts. Accordons lui
toutefois ce chiffre, le temps m'a manqué pour consulter mes sources. Par
contre, ce que l'on ne peut pas accepter, c'est le nombre de 875 disparus donné
par monsieur Quemeneur qui semble totalement ignorer les travaux du GRFDA
(Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie) et dont la présidente,
madame Colette Ducos-Ader a pris la précaution de s'entourer d'historiens,
J.-J. Jordi, Jean Monneret et Guy Pervillé; lequel groupe travaille en étroite
relation avec l'ONAC. Or ce groupe de recherches fait état de 1 752 européens
enlevés et disparus à jamais. Quelle est la source de Tramor Quemeneur? On ne
sait. Pourquoi diminue-t-il son bilan de moitié? On ne sait. D'autre part, on
relève un manque de cohérence entre les auteurs. Quand Tramor Quemeneur donne
le chiffre de 875 européens disparus, Yann Scioldo-Zürcher évalue à 3393
européens enlevés et disparus dont 3018 durant le printemps 1962 (Page 1036).
Quand Tramor Quemeneur dit que l'OAS a tué 3500 personnes (il faut toujours se
méfier des chiffres ronds), Yann Scioldo-Zürcher évalue à "environ"
2200 personnes victimes d'attentats ciblés de l'OAS. Qui croire? Mais le sommet
de la mauvaise foi revient à Raphaëlle Branche qui, dans son article portant
sur les disparitions, (page 416 à 419)
consacre 9 lignes aux enlèvements d'Européens; je me sens obligé de la citer
sans émettre un commentaire tant le lecteur relèvera l'énormité de la
malveillance: " le printemps et
l'été 1962 voi[en]t revenir cette pratique des disparitions... La plupart des
personnes disparues ont été vues pour la dernière fois avec des acteurs mal
identifiés mais algériens et souvent armés. Elles semblent avoir été visées
pour leur qualité de français et pour des raisons essentiellement
crapuleuses (le vol de leur voiture notamment) ou liées à des règlements de
compte accompagnant la fin de l'Algérie française... Très rapidement on
parle de plusieurs centaines de disparus et les rumeurs se chargent
de diffuser des récits effrayants....". C'est moi qui souligne. Que de précautions oratoires: "semble", "on",
"rumeurs". Madame Branche a-t-elle consulté des sources? A-t-elle
rencontré des témoins? Connaît-elle les travaux du GRFDA? Si Raphaëlle Branche
dans sa bibliographie cite J.-J. Jordi, elle omet Jean Monneret!
Loin de moi, la prétention d'écrire
un contre dictionnaire, aussi je citerai ça et là quelques autres erreurs et /
ou approximations.
Ainsi, lorsqu'on lit la notice
relative au CIPCG ( Centre d'instruction à la Pacification et à la Contre
Guerilla), les deux pages sont consacrées au centre d'Arzew; rien sur celui de
Philippeville, pourtant inauguré, si je ne m'abuse par Jacques Chaban Delmas
alors ministre de la Défense Nationale et des Forces Armées dans le gouvernement
de Félix Gaillard.
Deux articles m'ont interpellé; celui
sur la fusillade de la rue d'Isly, le 26 mars 1962, et la notice biographique
de Christian Fouchet signée par Chantal Morelle, historienne chargée des études
et recherches à la Fondation Charles de Gaulle. Dans ces deux articles aucune
mention n'est faite pour rappeler la responsabilité de Christian Fouchet dans
la fusillade de la rue d'Isly. Pourtant, il était alors Haut Commissaire à
Alger. Seuls responsables les soldats du 4ème RTA; des officiers
subalternes avaient alerté l'état major lui demandant de ne pas envoyer les
soldats de ce régiment. Christian Fouchet ne pouvait ne pas être au courant de
la situation. Il était responsable du maintien de l'ordre. Pourquoi tant
d'indulgence envers ce ministre? Pourquoi ce mensonge par omission? Mensonge
par omission aggravé par le fait que dans ces deux articles, pas une ligne ne
rappelle la morgue indifférence de de Gaulle qui, dans son allocution télévisée
du 26 mars au soir n'a pas un mot de compassion envers les victimes de la
tragédie. Surtout, évitons d'écorner le mythe du grand homme.
J'ai relevé cette même indulgence
dans la notice biographique consacrée à Louis Joxe rédigée également par
Chantal Morelle qui minimise son rôle dans l'empêchement du rapatriement des
harkis. Etait-il judicieux de confier ces deux biographies de ministres
gaullistes à une historienne membre de la Fondation Charles De Gaulle? Je me
contente de poser la question... C'est bien évidemment elle qui rédige l'article
sur de Gaulle. Je relève page 546 qu'il propose aux nationalistes algériens la
paix des braves. Mais rien sur le chef de la wilaya 4 Si Salah, qui, tout
disposé à négocier la paix des braves s'était rendu secrètement à l'Elysée afin
de rencontrer de Gaulle. Au passage, je note une erreur page 1148 dans la
notice que lui consacre Ouanassa Siari Tengour où l'on peut lire que Si Salah
se rend à l'Elysée le 9 juin 1962; l'homme était mort depuis une année;
vraisemblablement une faute de frappe.
Bien d'autres articles m'ont
interpellé. Pourquoi la notice concernant "Jeune Nation" a-t-elle été
rédigée par Tramor Quemeneur et non par Olivier Dard; dans cette même notice,
on peut lire "Michel Leroy a été exécuté"... par qui? Au passage
rappelons que dans les sources, les archives du CDHA auraient pu être citées;
mais Tramor Quemeneur ne doit pas connaître ce lieu. De même pourquoi l'article
consacré à Jean-Marie Le Pen a-t-il été octroyé à l'historien communiste Alain
Ruscio; là encore, Olivier Dard aurait été le mieux à même d'écrire une notice
objective. Ce même Ruscio rédige l'article "Nostalgérie". J'avoue
craindre le pire... et je ne suis pas déçu. Mon confrère reprend les poncifs
les plus éculés: "entreprise de récupération et d'instrumentalisation [
des associations, des individus ?], à des fins politiques, le plus souvent par
les courants d'extrême droite". Ou encore "une réécriture partisane
de l'histoire". Plus loin, "on peut sans exagération parler d'un
véritable lobby qui a... ses moments forts...
la présence tous les 26 mars, à l'Arc de triomphe à la mémoire des morts
de la rue d'Isly, ses lieux mémoriels, le centre de documentation d'Aix en
Provence...". J'arrête là l'énumération tant elle me donne la nausée.
Monsieur Ruscio, les morts du 26 mars ne méritent -ils pas un hommage? Le
président de la république a reconnu l'an dernier la responsabilité de l'état
dans cette tuerie. Le centre de
documentation d'Aix en Provence est le plus grand centre d'archives privées de
France, témoin de la présence française en Afrique du Nord; des chercheurs du
monde entier viennent consulter ces archives. Je suis prêt à vous accueillir et
vous servir de guide si vous voulez bien daigner le visiter. Confier la
rédaction de cet article à Jean-Jacques Jordi ou à Guy Pervillé aurait servi
une écriture plus objective de l'Histoire. D'autant que monsieur Ruscio à qui,
bien évidemment a été confiée la rédaction de la notice "l'Humanité" oublie que son journal
au lendemain des événements du 8 mai 1945 à Sétif a qualifié les manifestants
indigènes d'émeutiers à la solde du nazisme. Qui parle d'une écriture partisane
de l'Histoire?
Autre sujet sensible: le 17 octobre
1961, notice rédigée par Linda Amiri. C'est décevant qu'une docteure en
Histoire se réfère à un journaliste maoïste qualifié d'historien. Les chiffres
que ce dernier a fourni -393 morts- sont contestés par nombre d'historiens de sensibilité
différentes, comme Jean-Paul Brunet ou même les britanniques Jim House et Neil
Mac Master. Le philosophe Paul Thibaud dans la revue Esprit critique sévèrement les méthodes et les conclusions
d'Einaudi qui agit par choix politique afin d'exonérer le FLN, lequel FLN a
intimidé en usant parfois de violence les immigrés algériens afin de les
obliger à manifester. Les historiens britanniques notent que plusieurs dizaines
de décès sont survenus avant le 17 octobre. Madame Amiri cite par la voix de
Marguerite Duras un témoin algérien qui dit :"nous avons une vie
terrorisée". Terrorisée par qui? Par la police française? Rappelons que le
FLN mène une guerre sans merci en métropole contre les militants du MNA et
contre tous les immigrés qui refusent de contribuer aux levées de fonds qui
permettraient au FLN de poursuivre la lutte qu'il mène en métropole depuis
trois ans. Enfin, pourquoi Linda Amiri instruit un procès à charge contre le
seul préfet Maurice Papon, alors que celui-ci était en communication constante
avec le ministre de l'intérieur Roger Frey ? Heureusement Olivier Dard qui a
rédigé la notice "Frey" rappelle les responsabilités de ce dernier.
Lequel Frey informait de Gaulle...
La notice, brève, sur le 19 mars
rédigée par Sylvie Thénault, est un modèle d'écriture d'une histoire partisane.
Ainsi, on apprend qu'au lendemain de la signature des accords d'Evian, l'OAS se
déchaîne. Notre confrère Guy Pervillé signale que dès le lendemain de la
signature des accords, l'ALN sort de ses casernements, au mépris de ces mêmes
accords et massacre plusieurs dizaines de harkis en Oranie. Plus loin, on peut
lire, et c'est ahurissant, le 19 mars a été choisi par les deux belligérants [
armée française et FLN] pour cesser de s'affronter! Il faut dire cela à toutes
les familles des soldats français qui ont été tués, enlevés et ont disparu à
jamais entre le 19 mars et 31 décembre 1962. Je passerai très vite sur la notice
que Sylvie Thénault a rédigée sur Amédée Froger; mon confrère Jean
Monneret adresse une réponse détaillée
au livre qu'elle a écrit sur Les
ratonnades d'Alger et dans lequel
elle consacre un passage aux obsèques d'Amédée Froger qui ont conduit à des
massacres d'indigènes. Cette réponse détaillée paraît dans la revue Mémoire Vive du CDHA , laquelle
association entretient selon elle "une mémoire rapatriée nostalgique de
l'Algérie française". Je doute fort qu'elle connaisse le lieu et le Conservatoire
créé en 2019, et il serait bon qu'elle le fréquentât eu égard à sa qualité
d'historienne et à la richesse des archives auxquelles elle serait confrontée.
Les articles consacrés aux harkis
ont été attribués sans surprise à Fatima Besnaci-Lancou reconnue depuis
plusieurs années comme l'historienne patentée de cette communauté dont elle est
elle même issue.
Je ne voudrais pas lasser le
lecteur, mais bien évidemment nombre d'autres articles seraient sujet à débat
comme celui consacré à l'association des ulémas qui occulte le fait que
certains d'entre eux ont rejoint le FIS bien des années après la fin de la
guerre d'Algérie, ou encore celui consacré à Boumediene qui se révèle bien
indulgent...
Au final, donc, ce dictionnaire est
à manipuler avec infiniment d'esprit critique car le souci d'objectivité que
met en avant Jean-Luc Barré dans la quatrième de couverture est souvent mis à
mal dans le contenu des notices; il est également mis à mal dans le fait que
n'ont pas été contactés à des fins de contribution des historiens reconnus
comme Jean-Jacques Jordi, Jean Monneret, Pierre Vermeren... Il a été attribué à
Guy Pervillé une portion congrue. Nombre de notices sont succinctes, je pense à
celle consacré à Camus, la littérature francophone est d'ailleurs le maillon
faible de cet ouvrage -bien que Zineb Ali ben Ali lui ait attribué trois pages:
aucune notice pour Pélegri, Roblès, Sénac qui en sont les grands absents et qui
ont joué un rôle durant la guerre d'Algérie.
Alors? Ouvrage parcellaire? Ouvrage
Partisan? Ouvrage indispensable? Ouvrage néanmoins à consulter
précautionneusement.
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